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ressemblait dans son repos au tigre guettant sa proie. A la moindre émotion, son œil brun, devenu noir de geai, s’éclairait d’une lumière soudaine; le sang courait sous la paupière, la bête du combat se réveillait. De cette race d’hommes du marghzen, soldats toujours au service du commandement, qu’il fût turc ou chrétien. Mustapha rendait de grands services, et tous, nous prenions plaisir à l’interroger sur )e pays et les souvenirs d’autrefois. Aussi, quand, au mois d’avril 1845, la colonne de Mostaganem, forte de douze cents hommes d’infanterie, d’une batterie d’artillerie de montagne et d’un escadron du 4, chasseurs d’Afrique, se mit en marche pour gagner le Dahra, ce fut une vraie joie dans nos rangs de voir Mustapha-ben-Dif, suivi de son guidon et de ses cavaliers bien connus, marcher derrière le chef du bureau arabe, le commandant Bosquet. Nous partions à une époque où les pluies sont encore redoutables, avec la crainte de ne point trouver de résistance; mais, si la poudre faisait défaut, la chasse au moins promettait des distractions nombreuses, et de plus, soldats, nous ne connaissions point encore ce droit nouveau, le droit aux commentaires, dont la révolution de février voulut gratifier l’armée, et que celle-ci dédaigna fort heureusement pour la France. — Le général de Bourjolly avait donné l’ordre de marcher. Soigner nos chevaux si l’occasion se présentait, courir sus à l’ennemi, à ce nouveau chérif Bou-Maza dont les récits populaires racontaient déjà tant de merveilles, telles étaient nos seules préoccupations.

Dahra veut dire en arabe le nord; on appelle ainsi, aux confins des provinces d’Oran et d’Alger, une partie montagneuse du pays comprise entre le Chéliff et la mer, de Tenez à l’embouchure du fleuve, qui, après avoir coulé vers l’ouest, tourne brusquement au nord et isole ainsi ce territoire de deux côtés. La population de cette contrée, longue de cinquante lieues environ sur vingt de large, est kabyle. Les terres, remarquables par leur fertilité, sont bien cultivées. On y trouve des vergers magnifiques, et la principale branche du commerce consiste dans la vente des figues séchées; mais, protégés par le fleuve, recevant rarement la visite des agens de l’autorité, les gens du Dahra ont une autre industrie plus fructueuse encore : les uns sont voleurs, d’autres recèlent et gardent les objets dérobés. Ces derniers, pour la plupart, habitent la petite ville arabe de Mazouna. Les subdivisions de Mostaganem et d’Orléansville sont chargées de maintenir l’ordre dans le Dahra. Celle de Mostaganem étend son autorité sur la partie riveraine de l’embouchure du Chéliff, qui est la moins accidentée. La subdivision d’Orléansville, au contraire, a dans son ressort les populations les plus sauvages et les plus remuantes. La ville de Tenez, située sur le bord de la mer, à la limite est du Dahra, est l’un des points principaux d’où s’exerce la surveillance; mais, quand des opérations plus considérables sont