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attaché avec une sorte de fanatisme sans croyance aux traditions mortes du paganisme. Macer avait partagé l’espoir que les zélateurs obstinés du vieux culte avaient mis dans l’empereur Eugène, dont ils espéraient faire un autre Julien ; mais ce faible instrument du Franc Arbogaste ayant été brisé par le barbare habile qui l’avait employé un instant, le chef des Secundinus avait déserté à temps la cause d’Eugène, et il était revenu dans ses grandes possessions de la Gaule Belgique, y rapportant plus vive et plus aigrie sa double aversion pour tout ce qui était chrétien et tout ce qui était barbare. Là, parmi les jouissances du luxe et les raffinemens de la mollesse, le souvenir de ses plans renversés, de ses prétentions déçues, rongeait son ame comme une plaie cachée. Ses chagrins étaient d’autant plus cruels, que son orgueil le forçait à en déguiser la cause. Les honneurs qu’il avait obtenus dans sa ville natale lui semblaient une dérision, comparés à ceux qu’il s’était cru près d’atteindre, et cependant il en recherchait toujours de nouveaux avec une âpre avidité à travers mille petites intrigues et quelquefois par de véritables faiblesses. Il s’agitait, plein de fiel et d’ennui, dans le cercle étroit pour ses vœux où sa destinée l’emprisonnait.

Au sein d’une félicité apparente dont nul ne soupçonnait l’amertume, Macer s’était souvenu qu’il avait un fils, un peu oublié tant qu’avaient duré ses illusions ambitieuses ; l’orgueil de la race avait réveillé le sentiment paternel. Il s’était pris à reporter sur ce fils les espérances auxquelles lui-même avait dû renoncer. Rêvant déjà pour son héritier alliance brillante, fortune rapide, dignités et grandeurs, il avait rappelé le jeune Lucius de l’Orient, où celui-ci vivait depuis dix ans, et c’est au-devant de ce fils impatiemment attendu qu’il s’avançait aujourd’hui sur la Moselle avec son frère Capito.

Celui-ci, plus jeune de quelques années, était un homme de grande taille et d’un embonpoint presque excessif. Il avait le teint fleuri, la bouche vermeille, de gros yeux à fleur de tête, animés sans être expressifs, la voix sonore, le geste pompeux et théâtral : on reconnaissait bien vite en lui un de ces hommes qui, sous le nom encore honoré de rhéteur, représentaient seuls la littérature romaine déchue. L’unique ambition de Capito était de faire applaudir ses périodes travaillées et vides. Nulle passion n’avait troublé sa vie, hormis la passion des petits succès et des petits vers. Pour lui, le plus haut terme de la gloire humaine était la renommée d’une foule d’illustres rivaux dont l’admiration des connaisseurs contemporains n’a pu faire arriver les noms à la postérité, et, comme il sentait en lui tout ce qu’il fallait pour obtenir cette renommée, il en jouissait d’avance paisiblement.

Capito avait eu aussi ses désappointemens. Il s’était avisé de composer un panégyrique pour l’empereur Eugène, ce rhéteur imbécile qui porta quelque temps la pourpre sous le bon plaisir d’Arbogaste, comme