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et celui de la mer, y développerait bientôt un mouvement égal à celui de la baie entière. Cet avantage serait l’effet d’une création et non d’un déplacement d’intérêts. Loin d’y perdre, les ports voisins y gagneraient par l’extension de leurs relations avec une place de commerce qui, sans leur rien enlever, les ferait participer aux avantages de l’extension de son rayon.

Les améliorations dont l’état doterait la baie de Saint-Brieuc n’auraient pas le sort de germes enfouis dans une terre inféconde. Dans les dix dernières années, la pêche de Terre-Neuve, que nous regardons avec raison comme notre meilleure école de matelots, a légèrement rétrogradé dans son ensemble : en 1840, les ports étrangers à la baie envoyaient à Terre-Neuve 9,933 hommes ; ils descendent en 1850 à 9,368 ; la baie, au contraire, porte ses armemens de 1,168 hommes à 1,412, Le rapprochement des inventaires respectifs du matériel naval est encore plus remarquable : le matériel des autres ports de l’Océan réunis comprend 512,437 tonneaux en 1840 et 509,836 en 1830 ; tandis qu’il n’est pas même stationnaire, celui de la baie passe de 13,145 tonneaux à 19,320, et s’accroît de 47 pour 100. L’état doit aider ceux qui s’aident eux-mêmes, et quand il place ainsi les encouragemens, il ne fait qu’élargir les bases de sa puissance. Qu’on n’hésite donc point à fortifier les élémens de prospérité navale qu’a réunis la nature et que paralyse l’incurie des hommes autour de l’atterrage de Saint-Brieuc : ce sera donner à peu de frais aux villes maritimes de la côte opposée d’Angleterre une rivale qu’elles ne sauraient mépriser.

Il suffit d’un coup d’œil jeté sur une carte de Bretagne pour comprendre la pensée de Taliban sur la défense de cette côte et les avantages du port de refuge que nos ingénieurs hydrographes voudraient ouvrir au-dessous de Saint-Brieuc. L’atterrage de Bréhat, situé sur un angle saillant au milieu de la côte septentrionale de la Bretagne, s’avance comme un bastion à mi-distance entre Brest et Cherbourg : c’est la place de la station navale dont la protection devait, aux yeux de Vauban, couvrir tout ce qui est en arrière. Doublement précieuse pour la défense et pour l’attaque, depuis que l’application de la vapeur à la navigation a rendu les croisières plus redoutables, cette station relierai l’un à l’autre nos deux grands ports militaires de l’Océan. — L’établissement commercial se développerait au fond de l’angle rentrant adjacent et au foyer d’une aire territoriale triple de celle qui s’allonge vers Bréhat. La vieille alliance entre la marine marchande et la marine militaire ne reposerait nulle part sur des hases plus solides et plus fécondes.

J.-J. Baude.