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trépidation du sol qui les porte, s’inclinent et surplombent, menaçant à leur tour les véhicules qui les ébranlent. On ne parcourt pas les rues de Londres sans éprouver un sentiment de commisération pour les êtres à deux et à quatre pieds qui, exclus de l’usage du trottoir, sont réduits à celui de la chaussée ; mais l’aspect de leur gêne est moins triste encore que la lecture des enquêtes, mémoires, délibérations, où les conseils de paroisse exposent les tourmens que leur cause la difficulté de maintenir la viabilité des rues. Les grès de Kent et de Middlesex sont broyés comme le grain sous la meule par les milliers de roues et de pieds de chevaux qui les bocardent sans relâche. L’alderman Wood a beau importer dans son pays les chaussées à trams dont il a fait la découverte à Milan et les garnir de granit d’Aberdeen ; son granit devient glissant, et des centaines de jambes cassées protestent contre les perfectionnemens qu’il introduit. Sir James Mac-Adam appelle tout aussi vainement à son aide jusqu’à l’Inde et à la Chine ; les galets de Bombay et de Macao ne lui réussissent guère mieux que ceux de l’Europe, et une dépense annuelle de 54 francs par mètre courant pour l’entretien de la chaussée en cailloutis du pont de Westminster la maintient à peine contre l’action des vingt-deux mille chevaux qui la triturent chaque jour. Le désespoir des ingénieurs a tout essayé, jusqu’au pavé de caoutchouc, tout excepté le grès d’Erquy, celui des matériaux à portée de Londres qui coûterait le moins et remplirait le mieux sa destination. La longueur développée des rues, qui n’est à Paris que de 425 kilomètres, est de 1,126 à Londres, et, sans prétendre régler le droit au pavé du citoyen anglais, on peut remarquer que, d’après la consommation du Parisien, il faudrait à la ville de Londres au moins trois millions, c’est-à-dire quatre-vingt-dix mille tonnes de pavés d’Erquy par année. Les autres villes des côtes méridionales d’Angleterre ne tarderaient pas à profiter des exemples de la capitale ; elles emploieraient dans leurs rues et sur leurs routes environ quarante mille mètres cubes de pavés de petits échantillons ou de cailloutis confectionnés avec les débris de la fabrication principale.

Ce simple aperçu des besoins de la France et de l’Angleterre montre que la plus injustement dédaignée de toutes les industries pourrait doter le port d’Erquy d’une importance navale dont n’approcha jamais celle que l’antique Rheginea dut à la puissance romaine. Tout est à faire, mais tout est disposé par la nature pour l’établissement industriel et maritime qu’appellent les bancs de grès d’Erquy. Les moyens de débardage et d’embarquement actuels sont barbares, la ligne d’accostage des navires est tout encombrée de quartiers de roches ; mais il suffirait d’une campagne pour tout transformer. Un jour, peut-être prochain, l’exploitation se déploiera par étages sur toute une ligne de trois kilomètres ; des voies ferrées réuniront les chantiers des