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marché du transport : la salubrité de la voie publique est d’un intérêt bien supérieur encore. Les savans font de pénibles recherches sur les causes des pestes du moyen-âge : les villes de ce temps n’étaient pas pavées, et celles de l’Orient ne le sont pas encore ; ce simple fait explique les ravages de fléaux dont nous sommes exempts, et les ingénieurs du pavé de Paris préviennent cent fois plus de maladies que la faculté de médecine n’en guérit. Nous n’avons plus la peste, il est vrai ; mais la source des malignes influences qui débilitent sourdement la population des rez-de-chaussée donnant sur la rue est-elle tarie ? Que de tailles gracieuses s’étiolent, que de frais visages se fanent, que d’existences languissent et s’éteignent prématurément dans les boutiques de Paris par l’effet des miasmes dus à la porosité du grès de Fontainebleau ! Et ces effluves ne s’élèvent-elles jamais au niveau des étages supérieures ? Les carrières d’Erquy seraient la fontaine de Jouvence des demoiselles de comptoir, et si la classe respectable des honnêtes gens qui vont à pied est celle qu’affecte le plus l’état du pavé, il est permis, dans un pays qui a la prétention d’être gouverné dans l’intérêt des masses, de s’arrêter sur un pareil objet.

Comptons maintenant. À Paris, à Rouen, au Havre, le pavé cubique de 23 centimètres de côté, dimension que l’expérience a consacrée comme la mieux appropriée à la nature de la pierre et à celle du service qui lui est imposé, coûte 500 fr. le millier. Un pavé a moyennement à Paris trente-trois ans de durée ; réduisons, par courtoisie pour les carrières du bassin de la Seine, celle du pavé d’Erquy à cinquante ans : son admission dans le service de Paris procurera une économie d’un tiers sur les frais de main-d’œuvre. Mais le bon marché des fournitures en accompagnera ici la bonne qualité. Les carrières d’Erquy sont baignées par la mer, et si des travaux peu dispendieux appropriaient l’atterrage à sa nouvelle destination ; le millier de pavés embarqués n’y coûterait pas plus de 120 francs. Il pèse trois tonnes ; le transport et les faux frais reviendraient :


Francs
Pour le Havre 195
pour Rouen 205
pour Paris 240

on épargnerait donc 185, 175 ou 140 francs par millier, suivant celle de ces trois villes qu’il s’agirait d’approvisionner.

Nos voisins les Anglais ont encore plus besoin que nous des carrières d’Erquy. La circulation est plus considérable, l’humidité plus grande, et les matériaux moins résistans chez eux qu’en France. Il passe par jour 10,750 chevaux sur le boulevard des Italiens, la voie la plus fréquentée de Paris ; il en passe 30,000 sur le pont de Londres, et les maisons du Strand et de Cheapside, toujours frémissantes de la