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sur la navigation les procédés de M. Masson qu’en voyant, au bout d’une longue traversée, le dégoût des vivres secs, précurseur des maladies, s’emparer des équipages. Le cri de terre ! ne retentit si vivement à l’oreille du marin, ne ranime si bien son énergie que parce qu’il répond à son insu à l’un des besoins les plus pressans de notre nature. On ne désire avec tant d’ardeur le rivage que parce qu’on se trouve mal à la mer. Terre ! cela veut dire vivres frais et retour de la santé, de la force et de la joie. Il ne s’agit plus aujourd’hui, pour faire accompagner chaque navire des produits toujours verts des jardins du rivage, que de rendre vulgaires des procédés dont le moindre mérite est le bon marché. La condition du marin n’aura pas reçu de plus grande amélioration depuis plusieurs siècles. C’est ainsi que les sciences, donnant ce dont les révolutions font un leurre, mettant à la portée des classes les plus humbles de la société les biens qu’enviaient naguère les classes les plus fortunées, établissent entre les hommes plus de véritable égalité que n’ont jamais fait les institutions politiques : le plus pauvre d’entre nous franchit aujourd’hui la distance de Paris à Versailles en moitié moins de temps que ne le faisait Louis XIV au comble de sa puissance, et bientôt la chaudière du simple matelot sera pourvue d’alimens interdits, sur les galères du XVIIe siècle, à la célèbre table du duc de Vivonne. L’arrondissement de Saint-Brieuc possède les élémens indispensables de cette révolution ; qu’il sache les mettre en œuvre, et il remplacera l’industrie qui lui échappe par des industries dont la concurrence étrangère ne le dépouillera pas plus que de la fécondité de son sol ou de la navigation de sa baie.

Si l’industrie de la salaison est si peu avancée dans le département des Côtes-du-Nord, ce n’est assurément faute ni de débouchés ouverts par la navigation, ni d’abondance de bétail. Le porc est l’animal le plus multiplié du pays ; c’est aussi celui dont la race est la plus défectueuse, et si des croisemens intelligens l’amenaient à une transformation semblable à celle qu’ont opérée dans le département de Seine-et-Oise l’influence et les exemples de la ferme de Grignon, la valeur de la chair obtenue par la quantité de denrées affectée à cette destination serait singulièrement accrue. Le bœuf de la Bretagne, au contraire, est par la saveur et la fermeté de sa chair très préférable à ceux des bords de l’Elbe et de la Hollande, et cependant la marine des côtes méridionales de l’Angleterre tire de Hambourg une grande partie de ses salaisons. Il en coûterait peu dans les Côtes-du-Nord, où ne manque aucune des conditions naturelles du succès, d’emprunter à l’Alsace et à l’Allemagne des procédés dont l’application n’exige que des soins tout-à-fait vulgaires.

Une sorte de salaison tout aussi délicate que celle des viandes est depuis plus de deux siècles familière aux riverains de la baie : c’est