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sont nombreux et féconds dans l’île ; la culture y est remarquablement soignée, et la propreté recherchée des plus humbles habitations témoigne de l’ordre qui règne dans les familles. L’île n’a point de chemins carrossables ; le cheval, le mulet, l’âne même, n’y sont point au service de l’espèce humaine. On ne rencontre, dans les nombreux sentiers dont elle est sillonnée, que des femmes, des enfans, des vieillards ; l’homme dans la force de l’âge semble retranché de la population. C’est que tout Bréhatais donne à la mer les plus belles années de sa vie ; tant que la vigueur et la souplesse de ses membres ne sont point vaincues par les fatigues de la navigation, un vaisseau lui sert de demeure ; il n’apparaît au foyer domestique que pour se marier et faire des enfans. Pendant ces longues absences, les femmes sont chargées non-seulement des affaires du ménage, mais aussi des travaux de la culture ; elles retournent la glèbe à la bêche, font les semailles, les récoltes, transportent à la flotte les fruits de la terre et jusqu’aux engrais. Les écueils dont l’île est entourée fournissent en abondance des varechs qui suppléent à l’insuffisance des engrais animaux. Ce sont encore les femmes qui, s’armant de l’aviron, vont, avec un vieillard qui tient le gouvernail, dépouiller les rochers battus par cette mer orageuse. Le peu d’étendue de la terre à cultiver et la densité de la population expliquent comment celle-ci suffit à sa tâche ; mais c’est un mauvais calcul que d’employer à des labeurs pour lesquels sont faites les bêtes de somme un temps et des forces auxquels l’intelligence des Bréhataises trouverait facilement une destination plus utile et un but plus élevé.

On prétend que deux races distinctes se partagent l’île Bréhat. Il est du moins vrai que la langue préférée est le breton dans la partie nord, et le français dans la partie sud ; il l’est aussi que la délicatesse des traits et l’élégance de la taille de beaucoup de Bréhataises semblent être un vestige d’origine méridionale et un retour aux formes de leurs aïeules ; mais il n’existe, que je sache, aucune trace historique des immigrations par lesquelles l’île s’est peuplée. En 1409, elle fut prise par les Anglais que commandait le comte de Kent ; toutes les habitations furent brûlées, et elle ne fut qu’un désert jusqu’au moment où le duc de Bretagne Jean V, refaisant, suivant l’expression des chroniques du temps, son duché avec son épée, en reprit possession. François Ier, son successeur, la donna, en 1437, à son frère, ce rude connétable de Richemont que les Anglais retrouvèrent plus tard aux champs de Formigny. Le connétable en fit lui-même, en 1450, la dot de Jacqueline, sa fille naturelle ; le revenu de l’île, qui, d’après le cadastre, est aujourd’hui de 7,627 fr., fut évalué dans cette circonstance à 100 livres. L’île se repeupla sans doute par le retour des familles expatriées en 1409, et, soit génie des habitans, soit influence des lieux, il s’y forma bientôt une marine considérable