Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/1059

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant les variations du niveau des marées cachent ou découvrent alentour, abaissent ou grandissent de roches menaçantes. Le soleil descendait, pâle et froid, derrière les collines de Crec’h-ar-Maout, lorsque les dentelures du plateau commencèrent à se montrer à nous moins confuses. Une de ces brumes laiteuses si fréquentes dans la baie couvrait l’île d’un voile à demi transparent, et jetait une teinte mystérieuse sur les sauvages accidens de sa ceinture d’écueils ; de grands fantômes blanchâtres, dominant cet horizon, semblaient glisser silencieusement au-dessus des îlots et secouer aux lueurs mourantes du crépuscule les plis de leurs linceuls de vapeurs : Ossian les eût pris pour les ombres protectrices de ses aïeux. Ces fantômes étaient les obélisques dressés par M. Beautems-Beaupré sur les crêtes des écueils pour guider les navigateurs au milieu de ce dédale, et les changemens rapides de leur orientation par rapport à nous les faisait paraître animés du mouvement qui nous entraînait. Il était nuit quand nous abordions l’île par le sud en entrant dans l’anse sauvage qui doit à sa configuration le nom de Port-Clos.

Le plateau de Brehat est encadré entre deux bras de mer étroits dans l’angle rentrant que forme la côte au débouché de la rivière de Pontrieux. Il est couvert du nord-ouest par le Sillon de Talber[1], qui ressemble à une digue de six à sept kilomètres de longueur, enracinée au pied des hautes terres de Crec’h-ar-Maout. Ce singulier accident de terrain a pour base une rangée de roches découvrant à basse mer et alignées, dans la direction, du nord-est ; elles forment, s’il est permis de parler ainsi, l’épine dorsale d’un double talus granitique sur lequel se brisent les courans alternatifs du raz de Bréhat ; cette crête est la partie de l’estran où la mer exerce le moins sa puissance, puisqu’elle ne la couvre que pendant les courts instans de sa plénitude ; le flot et le jusant y abandonnent tour à tour les roches, les pierres, les galets qu’ils poussent sur les plans inclinés adjacens. Ces matériaux se sont intercalés dans les intervalles des roches ; long-temps remaniés par les flots, ils ont uni par prendre la courbure de plus grande stabilité, et les formes qu’affecte leur ensemble sont celles que les ingénieurs devraient donner, pour obtenir le maximum de résistance, aux digues construites dans des circonstances analogues. Les marées, quand elles s’abaissent, mettent le plateau de Bréhat à découvert sur une étendue d’un millier d’hectares ; elles le réduisent dans leur ascension à trois cent vingt-cinq. Pour l’embrasser d’un coup d’œil, gravissons au milieu de l’île le rocher escarpé que couronne la chapelle de Saint-Michel.

À mer basse, l’île est entourée d’une grève de sable très prolongée

  1. Dans le langage ordinaire, le mot sillon signifie une ligne creuse. Ce mot a quelquefois un sens tout contraire sur la cote de Bretagne : ainsi, à Saint-Malo, le sillon est la ligue qui réunit à la terre ferme la ville qui fut autrefois l’île d’Aleth.