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heureux, et d’autres rares exemples près de nous, attestent que celle loi de l’art n’est pas inflexible, si peu qu’une veine heureuse se rencontre et puisse encore saillir du cœur.

Dans un ordre bien différent de génie, dans l’éloquence de la chaire, qui avait été si long-temps en France l’éclatante émule autant que l’ennemie de celle du théâtre, le déclin ne fut pas moins sensible, les retours moins rares et moins dignes d’être étudiés. Cette éloquence, durant un demi-siècle, ne donnait à L’Académie (car le père Bridaine n’en fut pas) que deux hommes : l’un, plutôt déclamateur ingénieux qu’orateur, l’abbé de Boismont ; l’autre, doué de plus de puissance tribunitienne que d’édification évangélique, l’abbé Maury, ayant dû sa première gloire à un panégyrique de saint Louis prêché devant l’Académie, et le succès de ce panégyrique à un commentaire politique et mondain sur l’utilité commerciale des croisades. Devenu plus tard rigoriste dans la foi en proportion de ses faiblesses dans la vie publique, n’admettant plus alors comme digne de la chaire que la partie la plus mystérieuse du dogme, et déclarant presque la simple morale chose humaine et profane au-dessous de l’éloquence chrétienne, l’abbé Maury, homme de talent sans doute et de grand savoir dans l’art de la parole, mais auquel manquait ce qui, pour les anciens, était la condition de l’éloquence, est par là surtout demeuré aussi loin de leur génie que de la candeur passionnée de Chrysostôme et d’Augustin.

Les causes du déclin de la parole religieuse, le rapport de cette parole avec l’état des mœurs, les curieux indices qu’elle offrait de l’affaiblissement de la foi dans ceux mêmes qui en étaient les apôtres, sa faiblesse interne et irrémédiable, quand elle n’a pas la conviction du cœur qu’elle veut inspirer, la force indirecte qu’elle retrouve dans la passion politique et le danger social, ce sont là sans doute autant de vues qui se présentent d’elles-mêmes ; mais les détails en seront difficiles à donner dans leur juste mesure. Bien ménagés, appréciés au vrai, en éclairant l’histoire morale du pays, ils répandraient un intérêt nouveau sur cette forme tout à la fois de direction spirituelle dans les hautes classes et d’enseignement pour le peuple, sur cette puissance de la parole chrétienne qui, long-temps déprimée par le penchant du siècle dernier, avivée tout à coup par le fer et le feu de la persécution, après les martyrs de Lyon, de Nantes et de Paris, après le concordat, reprit sous le poids de l’empire un ascendant qu’elle continue de guider par des raisons différentes.

Mais au XVIIIe siècle, même sous les auspices de Massillon et à plus forte raison après lui, ce n’était pas là qu’étaient l’autorité, la persuasion, la victoire. Jamais cependant l’art de la parole oratoire ou plutôt l’artifice du style n’avait été plus étudié et plus souvent appliqué, dans la chaire comme ailleurs, à des sujets dont une sévérité judicieuse l’avait