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celle de la langue et de la littérature françaises, tous les proscrits du territoire, tous les éliminés d’alors, les anciens évêques de Boisgelin, de Bissy, de Roquelaure, les anciens académiciens de l’Académie française ou de la classe de littérature et de beaux-arts un moment créée, Delille, d’Aguesseau, de Boufflers, Saint-Lambert, La Harpe, Gaillard, Suard, Morellet, Target, Fontanes, Pastorel, tous les bannis littéraires enfin qu’avait faits la révolution depuis 1792 jusqu’au 18 fructidor inclusivement. Il n’en fit lui-même aucun ; il appela sans exclure, il fonda sans proscrire, et il parut même souhaiter que le grand corps de l’Institut, auquel il s’honorait d’appartenir comme membre tant qu’il n’était que général en chef et premier consul, demeurât le refuge inviolable et la distraction préférée de ceux que sa domination croissante et sa grandeur sans contrôle écartaient du pouvoir et de l’influence. Non-seulement, comme il l’a dit, il laissa ou du moins il affecta de vouloir laisser à la France la république des lettres ; mais, pour le mieux prouver, dans les commencemens surtout, il lui épargna tout-à-fait l’ostracisme.

Aussi, dès 1803, grâce à une politique de modération et d’amnistie, lors même qu’elle tendait au pouvoir absolu, on vit se renouer entièrement la tradition académique. Tous les droits furent rendus ou remplacés, tous les élus à une des précédentes académies siégèrent dans une des quatre classes de l’Institut renouvelé. Il n’y resta qu’une seule usurpation, celle de Bonaparte lui-même, qui, nommé d’office par le directoire dans l’Académie des sciences à la place vacante de Carnot, proscrit au 18 fructidor, la garda jusqu’à sa promotion à l’empire, tandis que Carnot, qu’il avait rappelé, rentrait près de lui par élection à la place vacante par la mort du célèbre mécanicien Leroy.

Quoi qu’il en soit de cette restauration ancienne et tout-à-fait complète, quelques noms de l’Académie française, privés dans le temps de successeurs immédiats, n’ont pas encore reçu la commémoration réparatrice que leur devait l’Académie reconstituée. Ce sont, dans l’ordre des temps, Rulhières, l’éloquent historien de l’anarchie de Pologne ; Séguier, souvenir parlementaire si honorablement académique encore aujourd’hui ; Chabanon, studieux précurseur des belles recherches de nos jours sur la musique et la poésie chantée des Grecs ; Lanière, poète trop oublié qui a fait quelques beaux vers ; Loménie de Brienne, archevêque et ministre dans un temps de bien difficile épreuve pour ces deux dignités ; Condorcet, appelé à l’Académie comme philosophe et ami des lettres, que son esprit actif et profond cultiva non moins ardemment que les sciences, mais avec moins de distinction et de bonheur pour lui-même ; Chamfort, martyr ainsi que Condorcet des passions violentes, dont il se sépara trop tard, et n’évitant également le bourreau que par le suicide ; le vertueux président de Nicolaï, mourant avec plus