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par distinction héréditaire ou souvent achetait un grade, et ces deux situations politiquement si différentes ne se rapprochent que par l’identité du courage et de l’honneur guerrier devant l’ennemi.

L’Académie française et les compagnies illustres créées après elle à plusieurs époques, sous la même inspiration diversement étendue, ces corps sans puissance effective, avec la seule vocation de la science et de l’art, avec le seul privilège de l’élection et de l’égalité, sont encore ce qu’ils furent ; ils ont duré sans vieillir, ils ont perdu sans s’altérer. Dans l’instabilité des pouvoirs, dans la rapide succession des hommes, dans le changement plus rapide encore des idées, ils ont conservé de précieuses traditions autorisées par la gloire, accrues par le temps ; ils en ont sans cesse rajeuni les titres, parce qu’ils en conservent fidèlement le généreux esprit.

Cette première institution des académies où, dans autant de classes homogènes et distinctes, avaient été représentées la langue et la littérature françaises, c’est-à-dire l’esprit même de la nation, les langues anciennes et orientales et l’érudition historique, c’est-à-dire la culture approfondie et comparée des lettres en général, les sciences mathématiques et naturelles, c’est-à-dire le progrès spéculatif et pratique du genre humain, les beaux-arts, c’est-à-dire la gloire et le charme de la civilisation même, s’est vue encore agrandie et complétée par une création reprise à deux fois, après avoir été pressentie[1] dès l’origine, comme le terme et le couronnement des autres efforts de l’intelligence, l’Académie des sciences morales et politiques. Ainsi s’est élevée successivement cette corporation multiple, datant de Richelieu, de Louis XIV dans sa gloire, de la convention après le 9 thermidor, de Napoléon encore consul, et enfin du gouvernement monarchique le plus libre qu’aient expérimenté les Français. Ainsi a été définitivement constituée cette laborieuse et paisible confédération de l’étude connue dans le monde entier sous le nom d’Institut, sans même qu’il soit besoin d’y joindre le mot de France, dont ce nom est pour ainsi dire l’éclatant synonyme et le symbole intellectuel.

Dans ce monument national, la persistance particulière de l’Académie française sans aucun but d’utilité matérielle, sa durée uniforme parmi tant de changemens et de ruines, ne peuvent s’expliquer sans doute que par son affinité avec quelques traits essentiels du caractère français. Il y a bien des siècles, en effet, avant le moyen-âge, avant le christianisme, un Romain qui avait fait la guerre et gouverné dans les Gaules disait, en parlant de la race ingénieuse et forte d’où est

  1. On peut voir, dans l’intéressant travail de M. Flourens sur Fontenelle, comment, dès l’origine, Colbert avait eu la pensée d’un grand corps académique renfermant plusieurs sections distinctes unies par un lien de confraternité, mais avec des applications très diverses aux sciences, aux lettres, aux arts.