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REVUE DES DEUX MONDES.

traité en date du 31 mai, qui stipulait la convocation pour le mois d’août d’un congrès général chargé de voter une constitution définitive. En attendant, le général Urquiza était nommé directeur provisoire de la confédération, il était investi de pleins pouvoirs pour le maintien de la tranquillité publique, et toutes les forces nationales étaient placées sous ses ordres. C’était une autorité provisoire, mais à peu près absolue, que les autres gouverneurs conféraient au général Urquiza, et du reste il n’en pouvait être autrement. Pendant ce temps, que faisait-on à Buenos-Ayres ? On déclamait sur la liberté et sur la démocratie ; on faisait des articles de journaux. Toutes les passions étaient excitées, quand parvint la nouvelle du traité de San-Nicolas. La salle des représentans mandait aussitôt les ministres à la barre. Le gouverneur Lopez, contre lequel s’était déjà déclarée une vive opposition, était sommé de s’expliquer. La salle des représentans, après force discussions, finit par ne plus vouloir sanctionner le traité, et les ministres, comme le gouverneur, se virent dans l’obligation d’abdiquer leurs pouvoirs. Un jour de plus, et une révolution nouvelle plongeait le pays dans la guerre civile ; mais, comme on ne mène pas long-temps une vie de ce genre, le général Urquiza a fini par comprendre que la force était encore le meilleur moyen de gouvernement dans l’Amérique du Sud. Il a tout simplement dissous la salle des représentai, exilé quelques députés, supprimé quelques journaux et réintégré l’ancien gouverneur, le docteur Lopez. C’est le 23 juin que le général Urquiza a accompli son coup d’état et que Buenos-Ayres s’est réveillée de nouveau sous la dictature. Urquiza d’ailleurs n’a point versé une goutte de sang et persiste dans ses projets d’organisation nationale. Une organisation quelconque et la paix, voilà le besoin universel de ces contrées ! Voilà ce que ne savent pas comprendre tous ces esprits échauffés et turbulens qui s’enivrent du premier système, du premier sophisme démocratique que leur envoie l’Europe ! Et tandis qu’ils disputent sur la liberté et le despotisme, toutes les questions de civilisation réelle restent en suspens. C’est là pourtant, dans le travail, dans l’éducation pratique et morale des masses, dans l’industrie, dans le développement de toutes les ressources naturelles du sol qu’est l’avenir de l’Amérique du Sud. Qu’importe ensuite quelle autorité politique règne ? Que sont les révolutions politiques, les changemens de pouvoirs, auprès de cette simple nouvelle que donnaient récemment les journaux américains : une goëlette brésilienne aurait pu s’avancer par le Maranon et le Madera jusque dans la Bolivie ? D’un autre côté, le Brésil traitait récemment avec le Pérou pour livrer à la navigation le Maranon. C’est dans ces œuvres puissantes, dans cette ouverture de grandes voies naturelles de communication, dans cette exploration du continent sud-américain, dans tous ces efforts pour frayer une route aux populations capables de féconder le sol, que réside l’action civilisatrice, et non dans quelques déclamations démocratiques qui font tourner les têtes en attendant qu’elles fassent couler le sang. Le moindre malheur encore, c’est lorsqu’elles font naître quelque pouvoir suffisamment intelligent, comme celui du général Urquiza, qui jusqu’ici n’a employé la force qu’à protéger la paix publique et le développement des intérêts réels du pays.

CH. DE MAZADE.


V. de Mars.