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colonie naissante que les goûts de luxe que crée la civilisation, et seraient restées étrangères aux nobles sentimens qui font le citoyen d’un état libre et laborieux.

Il est peut-être réservé à la nouvelle communauté de résoudre un grand problème en montrant ce que peut la race noire prise dans son état natif, dégagée à la fois et des traditions abrutissantes de l’esclavage et du dévergondage social d’Haïti. Si la race noire a eu ses Dessalines, ses Christophe et ses Soulouque, elle a eu aussi ses Ashmun et ses Roberts. Les premiers l’ont avilie et déshonorée; que les autres la réhabilitent, et ils auront bien mérité de la Providence et de la civilisation.

Une autre colonie voisine de Libéria s’est dévouée à la même œuvre : c’est celle de Maryland-in-Libéria. Aucun des états de l’Union n’a fait plus d’efforts que le Maryland pour se débarrasser de la lèpre de l’esclavage. Ces efforts sont attestés par une foule de mesures émanant de la législature locale et d’actes de coopération dus aux bons sentimens des citoyens. Le Maryland ne pouvait donc rester étranger au mouvement provoqué, en 1816, à Washington par M. Elias Caldwell; il suivit avec un intérêt soutenu toutes les opérations de la Société de colonisation, et lorsque les choses en furent arrivées au point de faire considérer comme viable l’établissement de la côte d’Afrique, en 1827, la législature vint en aide aux souscriptions particulières et vota un fonds annuel de 1,000 dollars (5,250 francs) dont le montant devait être versé dans la caisse de la société. En 1831, l’idée prévalut qu’il serait mieux que l’état du Maryland fît lui-même ses propres affaires et n’acceptât pas aveuglément les résultats d’actes sur lesquels il ne pouvait exercer aucun contrôle; de là la fondation d’une association particulière sous le nom de Société de colonisation de l’état du Maryland[1]. Son but était décentraliser dans ses mains toutes les ressources que l’état pouvait fournir pour contribuer à l’œuvre commune, tout en restant sous le patronage de la Société américaine.

Une première expédition fut faite à Monrovia; des malentendus firent échouer ses tentatives. La division se mit entre les deux sociétés, et celle du Maryland prit la résolution fort grave de fonder, en dehors de la Libéria, une autre colonie qui ne relevât que d’elle seule. Le cap Palmas, situé par 4 degrés 23 minutes de latitude nord (2 degrés environ plus sud que le cap Mesurado par conséquent), fut choisi pour le lieu d’établissement, et en novembre 1833 le navire l’Ann quitta Baltimore, sous la conduite du docteur Hall, emmenant avec lui dix-huit émigrans et quelques missionnaires méthodistes et presbytériens. Le projet étant de fonder une colonie destinée à devenir plus tard un état libre, on s’était occupé dès l’origine de ses institutions politiques, et le docteur Hall emportait avec lui une déclaration des droits et une ordonnance de gouvernement qui devait avoir force de loi jusqu’au jour où la colonie leurrait s’administrer elle-même. En outre, un des principes fondamentaux de la nouvelle société devait être l’abstention des liqueurs fermentées; on la constitua donc en société de tempérance et on fit voile pour le cap Palmas. Le docteur Hall toucha à Monrovia et y ramassa quelques colons provenant de la première expédition; il arriva enfin à sa destination à la tête de cinquante-quatre hommes.

  1. Maryland state colonization society.