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qu’ils soient, étaient jusqu’à présent à peu près rendus inutiles par la manière dont l’auteur des Girondins avait compris et traité l’histoire. Des deux seules manières connues de l’écrire, ad narrandum et ad probandum, pour parler avec Quintilien, il n’avait choisi ni l’une ni l’autre. Lorsqu’on a terminé la lecture de cette œuvre trop fameuse, il est impossible d’en soupçonner le but moral. D’un autre côté, l’auteur ne semble pas plus s’inquiéter de l’exactitude des faits que de la portée des conclusions ; on dirait que pour lui ni la vérité ni la moralité n’existent dans l’histoire, tant il se donne peu de peine pour y atteindre.

Les annales des peuples, toutes teintes qu’elles soient de leur sang, ne lui apparaissent que comme de vastes galeries dont il détache des tableaux selon les mobiles caprices de sa fantaisie et l’effet extérieur qu’il en espère. Qu’on soit un saint ou un monstre, un tyran ou une victime, chacun figure sur ces toiles avec le même relief et presque avec les mêmes teintes. Des avocats de Bordeaux, que les hasards d’une époque orageuse hissèrent seuls du barreau à la tribune et au pouvoir, deviennent, sous le magique pinceau de M. de Lamartine, ou des Romains brûlés du feu sacré de la patrie, ou des héros charmans que le roman dispute à l’histoire. Leurs adversaires jacobins ne sont pas moins grands d’ailleurs dans leur austérité sauvage : leur chef est un sage qui immole sciemment jusqu’à l’honneur de son nom à la sainte cause de l’humanité ; Marat lui-même, caché dans son grenier, est grand comme le mystérieux génie de la destruction planant de loin sur les sociétés condamnées. Voici deux femmes, suivant, au milieu des insultes de la populace, la route de l’échafaud. L’une est la fille d’un ouvrier, furieuse de n’être pas née duchesse, et qui a contribué à renverser un trône, faute de posséder un tabouret ; l’autre est la fille des empereurs et des rois, dont le front porte fièrement plus d’outrages que celui de ses ancêtres n’a porté de couronnes, et qui va rejoindre un époux dans le ciel en laissant deux orphelins sur la terre : laquelle de ces deux femmes, dans le livre de M. de Lamartine, est la plus pure, la plus auguste, la plus respectée ?

En présence de ce déplorable monument de la confusion des idées et des dangereuses tentations de la popularité, je ne voyais pas sans inquiétude l’auteur de l’Histoire des Girondins aborder celle de la restauration ; mais les événemens ont porté coup, et la retraite paraît l’avoir rendu aux nobles instincts de sa nature. Dans son œuvre nouvelle, l’écrivain honore tout ce qui élève la société, depuis la liberté constitutionnelle jusqu’à la fidélité politique, sous quelque drapeau qu’elle se maintienne ; il flétrit tout ce qui la rabaisse, depuis le despotisme jusqu’à la trahison. La proclamation de la charte, la généreuse tentative du roi Louis XVIII, le système de fusion appliqué après le