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Ce n’était point à la conscience privée qu’on entendait donner des garanties nouvelles, c’était l’état lui-même auquel on prétendait imposer une conscience. On qualifiait d’athéisme l’incompétence professée par le pouvoir en matière religieuse dans une société sans croyances communes, et au risque de soulever contre le catholicisme des résistances morales mille fois plus puissantes que l’autorité légale qui lui était conférée, on faisait entrer le péché dans le domaine de la loi, en punissant de mort le sacrilège simple, et de la peine du parricide, avec expiation et amende honorable, la profanation des hosties commise publiquement. Mais pourquoi poursuivre le sacrilège, crime fort rare, sinon sans exemple, lorsque chaque jour, l’hérésie conteste les dogmes et que l’incrédulité les blasphème ? Le législateur, qui mutilait le sacrilège, pouvait-il continuer à salarier les chaires dissidentes où le dogme de la présence réelle était publiquement nié, et, en abattant la main qui avait outragé le Dieu vivant, ne s’engageait-il pas à percer bientôt d’un fer rouge la langue qui oserait le blasphémer ? La majesté divine, déclarée sensible aux voies de fait, était-elle donc insensible aux autres espèces d’outrage, et pouvait-on s’arrêter au début d’une telle carrière ? Si l’on aimait mieux être inconséquent qu’insensé, si l’on introduisait soi-même dans sa loi des dispositions destinées à en paralyser l’exécution, n’était-ce pas parce que le bon sens faisait reculer la logique, et n’était-il pas manifeste qu’en imposant un tel projet aux vives répugnances du cabinet, on aspirait moins à conquérir pour la religion une garantie effective qu’à satisfaire sa propre pensée ?

Les circonstances auxquelles on subordonnait l’application de la peine capitale en matière de sacrilège avaient été visiblement combinées de manière à la rendre à peu près impossible. À la tribune de la chambre des pairs, M. de Chateaubriand les comparait spirituellement aux clauses de nullité introduites d’avance en Pologne dans les contrats de mariage pour faciliter les divorces. C’est qu’en effet cette loi était un effroyable péril, si elle ne demeurait une lettre morte. Se figure-t-on bien, dans Paris rongé d’indifférence et de scepticisme, un homme condamné à une double mutilation s’en allant, à la lueur des flambeaux sacrés, commencer sous le porche d’une église un supplice qui va finir sur l’échafaud, et comprend-on le prêtre répudiant son ministère sublime pour se faire dans ce drame sanglant comme l’auxiliaire du bourreau ? On pouvait promulguer une telle loi, mais un gouvernement aurait péri à la faire exécuter. Cette arme, créée pour protéger la religion, était une conquête de plus assurée à ses ennemis. Les lois finissent par réfléchir les croyances, mais ne commencent jamais par les faire naître. Le christianisme n’employa pas moins de quatre siècles à conquérir le domaine des intelligences avant de descendre dans la législation pour l’a mettre en harmonie avec lui. De Tibère à Constantin,