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suppléer par la complaisance à la foi politique absente et satisfaire la majorité sous peine de se voir déserté par elle. Placé entre le libéralisme qui, pour le moment, semblait vaincu et la contre-opposition qui recrutait contre lui au parlement et à la cour tous les ressentimens et toutes les impatiences, ce ministre s’inquiétait plus du péril immédiat qui le pressait dans la chambre que du danger lointain qui se préparait dans le pays. Aussi à chaque session apportait-il un tribut, sorte de rançon parlementaire qu’il s’efforçait de contenir dans les plus étroites limites possibles.

Le programme de la droite ne put être intégralement réalisé avant la réaction qui emporta bientôt tant de rêves d’un autre âge. De ces éclosions artificielles, la plupart ont disparu au premier souffle de la tempête. Si quelques-unes, des lois promulguées de 1824 à 1827 sont demeurées stables et consacrées par l’opinion, c’est qu’elles émanaient d’un ordre d’idées moins contestables que les théories philosophiques d’un parti et qu’elles se rattachaient aux intérêts permanens de l’ordre social. Pourquoi la France a-t-elle persisté, même dans ses jours les plus orageux, à rayer de son code le titre du divorce, à l’abolition duquel le nom de M. de Bonald se rattache si honorablement ? C’est que l’inviolabilité de la famille est une vérité qui n’est le patrimoine d’aucune école, et que les sociétés ne peuvent méconnaître sans reculer vers la barbarie. Pourquoi l’indemnité attribuée aux victimes des expropriations révolutionnaires n’a-t-elle pas été effacée de nos lois par les révolutions survenues depuis vingt-cinq ans ? Pourquoi la conscience publique a-t-elle entouré cette disposition réparatrice d’une approbation sans cesse croissante, lorsque la loi d’aînesse, la loi du sacrilège et d’autres mesures organiques n’étaient plus que des souvenirs désavoués même par ceux qui les avaient provoqués ? C’est qu’il peut exister des sociétés régulières en dehors d’un type ou préconçu par l’esprit ou emprunté à l’histoire, tandis que, dans nos jours si troublés et si incertains, il faut renoncer à vivre de la vie civilisée, si le pied ne repose sur un sol assez solide pour défier toutes les perturbations politiques. Le respect du droit privé, dans chacune de ses applications, est un principe qui importe surtout aux sociétés démocratiques. Lorsque les institutions générales sont sans prestige ; il faut que le droit des citoyens soit sacré, et par la même raison, lorsque l’état n’a plus de croyances, il faut que celles de l’individu soient inviolables. Si, par exemple, les hommes religieux s’étaient bornés, en 1825, à réclamer des pénalités plus efficaces contre les crimes et délits commis dans les édifices consacrés au culte, s’ils n’avaient entendu protéger la religion que comme la plus sainte des propriétés humaines, ils seraient demeurés, s’il est permis de le dire, en communion avec leur siècle, et leurs lois auraient pu survivre à leur fortune ; mais ils comprenaient alors autrement et leurs devoirs et leur mission.