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LA CHANSON DE ROLAND.

semble les morts, on brûle autour d’eux des parfums, on les bénit, on les encense, on les enterre en grande pompe, hormis Roland, Olivier et Turpin, dont les corps sont recueillis et mis à part pour être en France transportés.

On se disposait au départ, quand apparaît au loin l’avant-garde sarrasine. L’empereur s’arrache à sa tristesse, tourne fièrement ses regards vers les siens, et s’écrie de sa grande et haute voix : « Barons français, à cheval et aux armes ! »

L’armée tout aussitôt se prépare au combat. Charles dispose son ordre de bataille. Il forme dix cohortes, donne à chacune un chef habile et brave, puis se place à leur tête. À ses côtés, Geoffroy d’Anjou fait flotter l’oriflamme ; Guinemant porte l’olifant.

Charles met pied à terre, se prosterne devant Dieu, lui fait une ardente prière, puis remonte à cheval, saisit son écu, son épieu, et, le visage serein, se précipite en avant. Les clairons sonnent ; au-dessus des clairons bondit la voix de l’olifant : les soldats pleurent à l’entendre ; ils pensent à Roland.

L’émir, de son côté, a passé en revue ses soldats. Lui aussi les dispose en cohortes, il en fait trente aussi fortes que braves ; puis il adjure Mahomet, fait déployer son étendard, et court avec un fol orgueil à la rencontre des Français.

Le premier choc est terrible ; des deux côtés le sang ruisselle à flots. Jusqu’au soir, le combat se prolonge et le carnage va croissant ; mais vers la fin de la journée, au crépuscule, l’émir et Charles se rencontrent. Ils s’abordent et se portent de si terribles coups, que bientôt leurs sangles rompent, les selles tournent, ils sont à bas. Pleins de rage, ils tirent leurs épées, un duel à mort commence entre eux.

Charles va succomber : étourdi par un coup qui a fendu le fer de son cimier, il chancelle, peu s’en faut qu’il ne tombe ; mais il entend passer à son oreille la sainte voix de l’ange Gabriel, qui lui crie : « Grand roi, que fais-tu ! » À cette voix, il reprend sa vigueur, et sous l’épée de France l’émir écrasé tombe mort.

L’armée des païens s’enfuit ; nos Français les pourchassent jusque dans Saragosse : la ville est prise. Le roi Marsille en meurt de désespoir. Les vainqueurs font la guerre aux faux dieux ; à grands coups de cognée, ils brisent leurs idoles. On baptise les Sarrasins ; on en baptise au-delà de cent mille. Ceux qui résistent, on les pend, on les brûle, hormis pourtant la reine Bramimonde ; en France, on l’emmène captive ; Charles la veut convertir par douceur.

La vengeance est satisfaite ; on met garnison dans la ville, on s’en retourne en France. En passant à Bordeaux, Charles dépose sur l’autel de Saint-Séverin l’olifant de son neveu : les pèlerins l’y voient encore. Puis, dans de grandes barques, il traverse la Gironde et fait ensevelir