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REVUE DES DEUX MONDES.

Nous signalerons encore, comme d’excellens morceaux de Murillo, un Repentir de saint Pierre, qui semble un défi porté à Ribeira, une Scène d’Épidémie, de l’exécution la plus énergique ; une toile oblongue où sont représentés quatre gamins espagnols se disputant une miche de pain, et un délicieux petit chef-d’œuvre, exécuté dans la manière la plus suave du maître, première pensée du fameux Saint Antoine de Padoue, qu’on voit au maître-autel de la cathédrale de Séville et qu’en 1813 lord Wellington voulut acquérir du chapitre de la cathédrale, en offrant de le couvrir d’onces d’or.

La galerie du maréchal Soult, précieuse à tant de titres, et qu’à deux reprises le gouvernement a voulu acquérir, sera-t-elle entièrement perdue pour nous ? Nous ne le croyons pas, surtout si nous venons à penser que, depuis la restitution faite par l’état à la famille d’Orléans de la collection réunie à grands frais par le roi Louis-Philippe, le musée du Louvre ne possède plus douze tableaux espagnols. Il est vrai que, dans le nombre, on peut citer une Conception et une sainte Famille de Murillo, qui sont, comme la Conception du maréchal, dans ce faire suave et facile du maître que les Espagnols ont nommé vaporoso ; mais il n’existe rien au musée dans le style vigoureux et chaud (calido) du Saint Pierre aux Liens, du Miracle de san Diego ou de la Nativité de la Vierge, qui participe des deux manières. Ces tableaux nous font connaître le talent de Murillo sous un aspect imprévu et nous révèlent un artiste tout nouveau. Parmi les vieux maîtres espagnols, le musée du Louvre ne possède aucun morceau des peintres valenciens : Vicente, Juan Joanès et Ribalta ; aucune œuvre de ces maîtres des écoles intermédiaires : Roelas, Fernandez de Navarette, Herrera le vieux ; aucun tableau de ces artistes énergiques qui ont su se faire une place à côté des Murillo et des Vélasquez : Zurbaran et Alonzo Cano. Un certain nombre de tableaux, judicieusement choisis dans la collection aujourd’hui exposée, combleraient largement les vides laissés par la restitution du musée espagnol, et nous croyons que quelques-uns d’entre eux seulement atteindraient un chiffre élevé. C’est un sacrifice sans doute que l’état devra s’imposer ; mais, en ce qui touche les beaux-arts, une dépense est toujours bien faite quand elle est faite à propos, et il n’y a jamais économie à laisser passer des occasions qui ne peuvent plus se retrouver. On arrive plus tard à payer fort cher les œuvres secondaires d’un maître dont au même prix on eût pu acquérir les chefs-d’œuvre. L’occasion qui s’offre aujourd’hui nous semble unique. Les tableaux du maréchal, rassemblés il y a près d’un demi-siècle, avant que la mode et la spéculation eussent exploité ce filon vierge de l’art moderne, sont tous d’un ordre supérieur. Aujourd’hui, où trouverait-on en Espagne un tableau de quelque valeur qui n’appartînt soit à quelque riche cathédrale, soit à un musée ? L’art espagnol, imparfaitement représenté au Louvre, y réclame une place digne de lui : il faut espérer qu’on saura la lui faire.

F. MERCEY.


V. de Mars.