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sur laquelle il n’a nul besoin de s’appuyer ; sa tunique rose est relevée ; le blanc surplis qui la recouvre à demi est retenu par des agrafes d’or et forme les plis les plus heureux. Dix autres toiles de moyenne dimension, exécutées dans ce même système brillant et vigoureux, nous offrent les images de saints et de saintes portant les attributs de leur martyre. Zurbaran, dans toutes ces compositions, nous montre que lui aussi connaissait toutes les ressources d’une riche palette. Il a revêtu des plus somptueux costumes ces saints et ces saintes qu’il glorifie. Les brocarts d’or et d’argent, les soies rouges, bleues, roses ou jonquilles, les tissus brodés de perles et de pierreries, frangés d’or et retenus par des agrafes précieuses, sont prodigués dans chacune de ces peintures, sans que l’éclat des étoffes nuise en rien à l’harmonie du coloris, sans que leur épaisseur et leur solidité altère en rien le jet grandiose des draperies qui caractérise son talent et qui le distingue entre tous les maîtres.

Alonzo Cano, que l’on confond souvent avec Zurbaran, excella comme lui dans la grande peinture. À l’exemple de Michel-Ange, il fut à la fois sculpteur, architecte et peintre. La Communion d’une jeune fille, les Visions de saint Jean, de l’Agneau et de Dieu, sont autant de petits chefs-d’œuvre. Sainte Agnès portant l’épée et la palme du martyre est encore un morceau fort remarquable. Le seul reproche que l’on puisse adresser à Alonzo Cano, c’est un excès de facilité et de fermeté dans la touche qui fait pressentir la décadence.

La collection du maréchal Soult ne comprend aucun Vélasquez. Si quelque chose peut faire oublier l’absence de ce maître, c’est le nombre et l’excellence des Murillo. Quinze de ses tableaux font partie de la galerie, et dans le nombre on compte plusieurs chefs-d’œuvre et peut-être son meilleur ouvrage : nous voulons parler de cette resplendissante Conception qui, du moment qu’on entra dans les salles de l’exposition Lebrun, attire le regard et le captive. Pour nous, l’excellence de ce morceau résulte moins encore de son élévation que de certaines qualités humaines et vivantes qu’aucun peintre ne possède au même degré que Murillo, et que les écoles archaïques ou ascétiques ont toujours ignorées. Cet heureux mélange de l’immatériel et du réel compose pour nous un idéal bien autrement touchant que les froides abstractions des écoles germaniques ou les pauvretés des peintres primitifs. Ce que Murillo a voulu nous montrer, c’est la Vierge qui conçoit, la Vierge qui doit être mère, mère d’un Dieu ! Debout et le pied posé sur le croissant symbolique, la bienheureuse Marie est soutenue par de légers nuages parmi lesquels se jouent des groupes d’anges et de chérubins. Le Saint-Esprit qui la pénètre et la ravit fait tressaillir son beau corps ; dans son extase, elle joint les mains sur sa poitrine et incline la tête sur l’épaule gauche. Ses beaux cheveux noirs se sont dénoués et se répandent gracieusement sur ses épaules. Ses yeux d’une incomparable douceur, levés vers le ciel, expriment les ineffables voluptés qui accompagnent la conception d’un Dieu. Tout délicat que soit le sujet, la vue de ce beau tableau n’éveille aucune de ces terrestres convoitises que font naître la Madeleine du Corrège, méditant dans le désert, ou l’extase voluptueuse de la Sainte Thérèse du Bernin. Le coloris est ici admirablement approprié à la pensée. La Vierge, vêtue d’une robe blanche, dont une écharpe d’un bleu puissant et léger fait ressortir l’éclat, est comme enveloppée d’une atmosphère transparente et dorée, empruntée au ciel, au milieu de laquelle les anges et les chérubins