Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/783

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou bien les rappeler net à l’ordre par l’une ou l’autre de ces versions créoles du dicton chacun ses affaires :

Zaffai cabrite
Pas zaffai mouton.

« Les affaires du cabri ne regardent pas le mouton. »

Ci là qui vlé couvé
Couvé su zef yo.

« Que celui qui veut couver couve ses propres neufs. »

Moune connait ça qua bouilli
Nen canari li.

« Chacun sait ce qui bout dans sa marmite. »

C’est soulié tonnait
Si bas tini trou.

« C’est le soulier qui sait si le bas a des trous. »

Quand la querelle arrivait à ce ton d’aigreur, ce que la chanson avait de mieux à faire, c’était d’y mettre le holà par ce conseil de discrétion :

Toute mangé bon pou mangé,
Toute paroi pas bon pou di.

« Tout manger est bon à manger, mais toute parole n’est pas bonne à dire ; »

ou par ce conseil de prudence :

Badinez bien avez macaque, Mais na pas mangnié queue à li !

« Badinez bien avec le macaque, mais ne lui tirez pas la queue (ne touchez pas à l’endroit sensible, ne poussez jamais hommes et choses à outrance) ; »

ou enfin par ce conseil de prévoyance :

Avant traversé riviai,
Pas juré maman caïman.

« Quand vous devez traverser la rivière, ne jurez pas la mère[1] du caïman (ne vous brouilles pas avec les gens à la merci desquels vous pouvez tomber). »

On peut saisir dans ces citations la véritable physionomie de la poésie nègre. Deux, trois ou au plus quatre petits vers, sans prosodie bien arrêtée, car ils ne diffèrent souvent du langage ordinaire que par la rime ou le nombre, — encadrent l’idée exprimée. S’il en sort une métaphore bien frappée et surtout une épigramme heureuse, le distique ou le couplet devient proverbe et sert, tant que la mode en dure, de thème ou de refrain aux satires du zamba. — Qu’est-ce que le zamba ? C’est d’abord un devin, c’est ensuite un ménétrier-compositeur, c’est, en troisième lieu, un poète de profession : triple spécialité qui en fait

  1. Jurer la mère et surtout la marraine d’un nègre est, à ses yeux, la plus violente formule de l’outrage.