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les faits qui provoquèrent l’ordonnance du 5 septembre 1816 et les conséquences qui en sortirent, afin qu’on puisse embrasser d’un même coup d’œil la double pression qui menaçait la monarchie.


IV

Cédant à ses inspirations personnelles comme aux conseils de l’Europe, Louis XVIII aspirait à restreindre dans les plus étroites limites possibles une justice qui, lorsqu’elle frappe de nombreux coupables, est plus dangereuse encore pour le pouvoir qui l’exerce que cruelle pour ceux qui la subissent. La déclaration de Cambrai et son ordonnance du 24 juillet 1815 avaient eu pour but de satisfaire aux exigences de son parti moyennant un petit nombre de proscriptions individuelles ; mais l’ardente assemblée qui allait au bout de toutes ses haines comme de toutes ses convictions avait mis à néant ces actes de clémence et de suprématie royale, et se croyait assez monarchique pour servir la monarchie en dépit d’elle-même. L’on sait qu’elle entreprit de substituer à l’amnistie donnée par le roi un projet par catégories, dont l’application aurait atteint le plus grand nombre de ceux qui avaient exercé des commandemens militaires ou des fonctions politiques durant les cent jours ; personne n’ignore de plus que ce projet ajoutait à la peine de mort ou d’exil à prononcer contre les coupables celle de la confiscation, que la charte royale avait eu l’insigne honneur d’abolir. Je ne connais pas dans l’histoire parlementaire de situation plus saisissante que celle du ministère de M. le duc de Richelieu luttant avec un calme imperturbable durant de terribles journées pour protéger la personne et les biens des hommes qui venaient de renverser la royauté, et suscitant par là contre celle-ci une opposition plus furieuse peut-être de sa clémence que du crime de ses ennemis : noble attitude qui s’éleva jusqu’au sublime, lorsque, le testament de Louis XVI à la main, le frère de la sainte victime refusa de frapper ceux qui étaient couverts par son pardon. On sait que l’exil des régicides signataires de l’acte additionnel ne fut imposé au roi que par la menace de voir la chambre accueillir le désastreux projet de M. de Labourdonnaye et refuser le budget, si cette satisfaction ne lui était accordée.

La lutte n’était pas moins vive dans les questions d’administration que dans celles qui touchaient aux personnes, et partout la politique de conciliation venait se heurter contre des passions ou des principes inflexibles. Une loi de 1814 avait affecté les forêts de l’état pour gage à la dette publique. Or la chambre entendait distraire ce gage de cette destination dans la double pensée de constituer une dotation immobilière pour le clergé et d’atteindre indirectement ces intérêts de banque, objet constant de méfiance et de jalousie pour toute assemblée où