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s’être mis prudemment en règle avec l’avenir, Fouché n’était pas d’ailleurs l’homme éminent rêvé par les diplomates étrangers, trop enclins à confondre l’adresse avec l’habileté et à s’incliner devant le cynisme protégé par l’impudence. Associé comme M. de Talleyrand, son collègue, aux trop faciles admirations de l’Europe, il avait toujours suivi les événemens sans essayer jamais de les dominer. Égorgeur en 93, servile en 1812, conspirant en 1815 avec les hommes qu’il avait mission de surveiller, Fouché n’avait été inspiré, aux phases diverses de sa triste carrière, que par la très vulgaire pensée de sauver ou sa tête ou sa fortune. Il y avait une étrange aberration à voir dans un tel homme le sauveur possible d’un gouvernement assailli par tous les périls. Ni le duc d’Otrante, ni le prince de Talleyrand n’étaient de taille à se mesurer avec ces dangers-là sous le coup de l’inexorable publicité qui dans un gouvernement représentatif agite incessamment la conscience du pays ; mais ce qui dépasse toute croyance, c’est d’avoir espéré qu’un ministère dans lequel un moine régicide siégeait côte à côte avec un évêque apostat soutiendrait un seul moment le choc d’un parti victorieux, que ses énergiques convictions rendaient intraitable, et dont la provinciale honnêteté ne s’inclinait pas devant de banales réputations de salon et de chancellerie.

Si les gentilshommes que les derniers événemens avaient jetés tout à coup du fond de leurs châteaux délabrés dans le tumulte de la vie publique étaient sans nulle connaissance des affaires, l’honneur parlait trop haut dans leurs cœurs pour qu’ils supportassent de sang-froid le spectacle de ces scandaleux reviremens, et c’était ajouter singulièrement à la difficulté déjà si grande d’en obtenir des votes sages et modérés que de les demander par de tels interprètes. La foi politique du parti royaliste n’était pas moins vive que sa foi religieuse, avec laquelle elle était confondue ; or, tant que les partis ont des convictions ardentes, les meilleurs instrumens pour les contenir sont ceux qui partagent leurs croyances en demeurant étrangers à leurs passions. Il n’y a, pour dominer les situations vives, que les hommes qui en sortent. La politique que l’Europe conseillait à la restauration, et que Louis XVIII entendait suivre, était assurément la seule bonne ; mais, si elle ne put être pratiquée qu’à grand’peine par MM. de Richelieu ou Lainé, dont la vie était un gage donné à l’opinion dominante, elle devenait d’un succès beaucoup plus difficile, appliquée par des hommes dont plusieurs avaient siégé durant les cent-jours soit dans les conseils de l’empereur Napoléon, soit dans la chambre des représentans. Des travestissemens politiques se succédant comme dans une pièce à tiroir sont supportés par l’opinion après qu’une longue série de révolutions a détendu le ressort des esprits et que le scepticisme a énervé les aines ; mais on n’en était pas là en 1815, et le parti royaliste en particulier conservait alors l’entière virginité de ses croyances comme de ses