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faction que rien ne leur permettait de négliger. Pour eux, vieux soldats de la mer, c’était la sûreté de leurs anciens compagnons qui leur était confiée, la grandeur même de la tâche les relevait à leurs propres yeux ; y manquer n’était point une faute, mais une honte ; c’était livrer son poste à l’ennemi.

L’histoire des côtes est pleine de faits qui prouvent ce fanatisme héroïque. On a vu, par exemple, des gardiens de phares flottans refuser de fuir leurs pontons à moitié démolis par la tempête, et sombrer sous leur fanal comme le Vengeur, sous son sublime drapeau ; d’autres, atteints par la fièvre jaune, se traîner jusqu’à la salle des appareils et allumer d’une main mourante la lumière protectrice. Pendant la dernière guerre contre les Anglais, un gardien, attiré hors de sa tour et sommé par une péniche anglaise d’éteindre son feu, dont la disparition devait compromettre une escadrille française, qui cherchait le port, préféra jeter ses clés à la mer et se faire massacrer par l’ennemi.

Lavau avait entendu raconter, comme tous ses pareils, ces dramatiques aventures, qui étaient les dates glorieuses de leur histoire : ce culte des devoirs particuliers imposés aux gardiens de phares se compliquait en outre, chez lui, d’une disposition que nous avons déjà signalée. Ainsi que toutes les intelligences restreintes, il ne distinguait bien que les devoirs immédiats, mais il portait dans l’accomplissement de sa tâche ainsi comprise une rigueur singulière. Pour lui, l’honneur très simplifié n’en était devenu que plus absolu dans ses exigences. Les objets dont il se trouvait entouré semblaient d’ailleurs rendre sa faute plus présente. L’obscurité dans laquelle la tour restait plongée, les rumeurs furieuses de la mer, les gémissemens du chien que l’on continuait à entendre par intervalles, tout lui rappelait le désastre accompli, tout l’accusait ! Il se jugea à jamais déshonoré et se demanda quelle expiation pourrait amoindrir sa honte, sinon la racheter. Un souvenir traversa tout à coup sa mémoire. Il se rappela qu’à l’une de ses premières campagnes, la négligence du capitaine avait conduit la goélette de guerre qu’il montait aux récifs des Sorlingues, où elle périt. L’équipage échappa dans les chaloupes, mais l’auteur du naufrage avait résisté jusqu’au dernier moment à toutes les prières ; il avait refusé de quitter le navire et s’était puni lui-même en s’abîmant dans les flots. Ce fut un trait de lumière pour Simon. Incapable de voir, après la faute, les lois plus élevées de la morale humaine qui lui défendaient de se châtier de ses propres mains, il crut que l’exemple de son ancien capitaine était un avertissement. Comme lui, il avait failli à son devoir, il voulut se faire pardonner comme lui.

Cette pensée l’eut à peine frappé, que sa résolution fut prise. Pour cette nature à fond héroïque, mais rebelle aux débats intérieurs, quitter la vie était chose plus simple et plus facile que la discuter. Il fit