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de la réalité. Il fallait que le statuaire trouvât en lui-même la faculté de l’interpréter, et, comme il ne possédait pas cette faculté, il se trouvait réduit à la nécessité de produire une œuvre incomplète et boiteuse. Pour ma part, je m’en réjouis, car je suis toujours heureux de voir la médiocrité ramenée au rang qui lui appartient.

Mlle de Fauveau nous ramène à l’enfance de l’art. Quel nom donner en effet à l’étrange composition qu’elle nous offre comme un bas-relief ? Le Combat de Jarnac et de la Châtaigneraie n’a rien à démêler avec la statuaire proprement dite. Il n’y a pas une figure qui soit conçue selon les conditions du bas-relief. Tous les personnages se détachent du fond et sont traités en ronde-bosse. C’est un souvenir maladroit de l’art gothique. L’art gothique rachetait du moins la violation des lois de la statuaire par l’énergie ou la naïveté de l’expression, et Mlle de Fauveau ne peut invoquer une telle excuse. Voilà pourtant où la flatterie conduit les esprits les plus ingénieux. Pour avoir modelé, sinon d’une manière savante, du moins avec adresse, quelques bénitiers dans le style gothique ou dans le style de la renaissance, pour avoir enroulé autour d’un miroir quelques figures gracieuses taillées dans le poirier, Mlle de Fauveau, qui n’aurait jamais dû abandonner ce genre modeste, s’est crue appelée aux plus hautes destinées. Elle a pris au sérieux les louanges qui lui étaient prodiguées. Le Combat de Jarnac et de la Châtaigneraie nous montre tout le néant de ses espérances. À quelque point de vue que l’on se place, il est impossible d’approuver la méthode qu’elle a choisie. Si elle voulait faire des figures ronde-bosse, elle n’avait qu’à supprimer les spectateurs, et les deux combattans auraient pu fournir le sujet d’un groupe intéressant ; mais traiter une telle scène aujourd’hui, en plein XIXe siècle, comme personne n’eût osé la traiter le lendemain du combat, nous ramener au bégaiement de l’art gothique quatre siècles après la renaissance, c’est un enfantillage que je ne puis comprendre, et je ne veux pas l’encourager par mon silence. Un tel ouvrage ne mérite pas d’être discuté sérieusement : c’est un joujou qui devrait figurer dans les boîtes que Nuremberg nous envoie pour le premier jour de l’an. Mlle de Fauveau avait montré dans ses travaux précédens une finesse, une variété qui ne présageaient pas le Combat de Jarnac et de la Châtaigneraie. J’aime à croire qu’en apprenant à Florence l’accueil fait à cette nouvelle œuvre, elle reconnaîtra son erreur et rentrera dans la voie qu’elle avait choisie à ses débuts. Elle n’est pas faite pour tenter les grandes aventures ; les sujets énergiques ne conviennent pas à son talent : qu’elle demeure dans les conditions de sa nature, qu’elle ne s’engage plus dans une tâche au-dessus de ses forces, et les applaudissemens ne lui manqueront pas. Qu’elle n’oublie pas le conseil du fabuliste, qu’elle ne méconnaisse pas la vocation de son talent : c’est le plus sûr, c’est le seul moyen de bien faire.