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SALON DE 1852.




On se plaignait, sous la restauration, de la rareté des expositions, et je crois qu’on avait raison, car souvent un artiste nouveau, doué de facultés puissantes, était forcé d’attendre trois ou quatre ans pour produire au grand jour l’œuvre qu’il avait achevée, et qui devait fonder sa renommée. C’était là sans doute un grave inconvénient, et je conçois très bien que l’administration, docile au vœu public, se soit empressée de multiplier les expositions. Toutefois je pense que les expositions annuelles sont très loin de servir au développement de l’art : envisagée comme industrie, assimilée aux toiles peintes de Mulhouse, aux indiennes de Rouen, la peinture peuit s’en réjouir, en tirer parti ; considérée comme l’une des formes de l’imagination humaine, elle ne peut que s’en attrister. Quand les salons se succédaient à des époques irrégulières, les peintres, les statuaires travaillaient pour lutter : l’exposition devenait un champ de bataille. Aujourd’hui que les salons sont loin d’avoir la même importance, la lutte s’engage à peine entre quelques esprits d’élite ; la plupart des artistes ne voient dans les expositions annuelles qu’une occasion de placer les produits de leur industrie : l’activité mercantile a remplacé l’émulation. Assurément le travail de la pensée ne saurait se contenter des applaudissemens, il est juste que la renommée se traduise en bien-être ; malheureusement les expositions annuelles suppriment la renommée et ne laissent debout que la soif du gain. Le plus grand nombre se hâte de produire et prend en pitié les ames assez ingénues pour rêver la gloire ; le désir de bien faire s’attiédit de jour en jour, les ateliers se transforment en usines,