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Comme Mlle d’Épernon, Mlle de Bourbon songea aussi à conjurer les orages qui l’attendaient, dans la paisible demeure où elle comptait tant d’amies. Elle s’y plaisait et y passait la plus grande partie de sa vie, car sa mère, la princesse de Condé, l’y menait sans cesse avec elle, comme nous l’avons dit, et lui faisait partager les fréquentes retraites qu’elle y faisait. Cette princesse, par un contraste qui n’était pas rare dans ce temps, était à la fois très ambitieuse et d’une piété qui allait jusqu’à la superstition. Les contrastes abondaient dans son caractère. Elle n’avait jamais fort aimé son mari, et à vingt et un ans elle était allée s’enfermer avec lui à la Bastille et à Vincennes pendant trois longues années. Elle était assez vaine de sa grande beauté ; elle se plaisait à faire des conquêtes ; celle d’Henri IV l’avait au moins flattée ; elle avait été fort recherchée, fort célébrée, et toutefois sa vie avait été exempte de tout scandale. Elle était d’une fierté qui passait toutes bornes, lorsqu’on avait l’air de lui manquer ; et quand son orgueil était en paix, elle était pleine d’amabilité et d’abandon. Elle n’était pas sans grandeur d’ame et elle avait beaucoup d’esprit. Elle destinait sa fine aux plus grands partis ; mais, la voyant déjà si belle et connaissant par sa propre expérience les périls de la beauté, elle était bien aise de l’armer contre ces périls en lui mettant dans le cœur une sérieuse piété et en l’entourant des exemples les plus édifians. Non contente d’aller souvent au couvent des Carmélites, elle voulut pouvoir y venir à toute heure, y demeurer, elle et sa fille, aussi long-temps qu’il lui plairait, y avoir un appartement comme la reine elle-même, et, pour cela, elle s’imposa d’assez lourdes charges, comme il est dit dans un acte authentique, passé le 18 novembre 1637 en son nom et au nom de Mlle de Bourbon, et dont nous donnerons l’extrait suivant :

« Furent présentes en personne révérendes mères Marie-Madeleine de Jésus (Mlle de Bains), humble prieure ; sœur Marie de la Passion (Mlle e Machault), sous-prieure ; sœur Philippe de Saint-Paul (Mlle de Bouthillier), et sœur Marie de Saint-Barthélemy (Mlle Guichard), dépositaires, représentant la communauté… lesquelles, averties du grand désir que haute et puissante princesse, dame Charlotte-Marguerite de Montmorency, épouse de haut et puissant prince Henri de Bourbon, premier prince du sang, et demoiselle Anne de Bourbon, leur fille, ont fait paroitre d’être reçues pour fondatrices de la maison nouvelle que lesdites révérendes font à présent construire et prétendent rejoindre à leur

    t. VI, p. 92) : « Je fus hier aux Grandes Carmélites avec Mademoiselle, qui eut la bonne pensée de mander à Mme Lesdiguières de me mener. Nous entrâmes dans ce saint lieu. Je fus ravie de l’esprit de la mère Agnès (Mlle de Bellefonds). Elle me parla de vous, comme vous connoissant par sa sœur (Mme la marquise de Villars). Je vis Mme de Stuart belle et contente (elle fit profession cette année même, disent nos manuscrits, sous le nom de sœur Marguerite de Saint-Augustin, et mourut en 1722). Je vis Mlle d’Epernon… Il y avoit plus de trente ans que nous ne nous étions vues : elle me parut horriblement changée. »