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ces trilles qu’il applaudissait sur parole, demandera, comme Bartholo, qu’on lui chante seulement un petit air tout simple, telle phrase que vous voudrez, pourvu que le cœur s’y montre, le finale de la Sonnambula par exemple, ou la romance du Saule, rien que cela : essayez.

Rubini, le grand maître du chant large et pathétique, cette voix sublime dont la note élégiaque et profonde vibre encore dans toutes les poitrines, Rubini commença, qui le croirait aujourd’hui ? par être un chanteur de roulades ; il se rompait aux mille gentillesses du style fleuri. Je le vois encore s’escrimant à côté de Mme Mainvielle-Fodor en gazouillis délicieux et demandant aux prestiges de la vocalisation, à la difficulté, une renommée qu’il ne devait conquérir que plus tard par l’entière transformation de son talent. Bellini vint, et du mouvement imprimé par le maître de Catane à la phrase dramatique sortit une nouvelle école de chanteurs. Aux graces vives et brillantes, à l’étincelant coloris, à l’ornementation un peu surchargée de la méthode rossinienne, l’auteur de Norma et des Puritains fit succéder la note émue et palpitante, la cantilène attendrie, en un mot le chant spianato, comme on dit en Italie, dans toute l’éloquence de son expression. Avec quelle admirable intelligence Rubini sentit tout d’abord le parti qu’on pouvait tirer du système nouveau, et comment, s’étant plongé dans ces courans mélodieux, il y laissa pour jamais l’attirail routinier du vieux style, il suffit, pour qu’on le sache, d’avoir suivi au Théâtre-Italien et dans ses diverses périodes le développement de cette organisation si douée. On a beaucoup parlé naguère en littérature d’une certaine école du bon sens qui promettait merveilles, et en somme n’a rien donné ; cette fois, ce fut l’école du sentiment qui, avec Rubini, se fonda. L’expression régna sans partage, l’ame passa dans la voix : Elvino, Percy, Ravenswood, Arturo, types immortels et qui jamais ne sortiront des souvenirs de tous ceux qui avaient vingt ans à cette bienheureuse époque ! À cette école de Rubini, combien de disciples se formèrent qui, à leur tour, sont devenus des maîtres : Buprez, Ronconi, Moriani ! Ella è tremante, ella è spirante, ce cri suprême de l’amour éploré, ne l’entendez-vous pas au loin retentir sous les marbres et les sombres touffes de verdure du jardin de. Bellini ? Et le son de la voix de Jenny Lind, cet accent pathétique et profond, qui le remplacera ? Essayez, après ces magnifiques explosions du cœur, d’en revenir à la roulade, aux vocalises du rossignol des bois, à la difficulté ; la Sontag elle-même y a perdu sa peine et son talent. C’était agréable et joli, curieux surtout ; mais toutes ces graces, toutes ces enjolivures, toutes ces mignardises charmantes avaient perdu leur écho dans nos ames. Vous connaissez ces chefs-d’œuvre de marqueterie et de ciselure : on pousse un ressort, et voilà que soudain un oiseau surgit, un bel oiseau tout emplumé de saphirs et de diamans. Il chante à plein gosier les variations de Rode et bien