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français n’est point du récitatif : d’où je conclus que les Français n’ont point de musique et n’en peuvent avoir, ou que, si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux. »

Rousseau continue, dans son Dictionnaire de Musique, la guerre qu’il avait commencée dans sa Lettre sur la musique française, de sorte que ce dictionnaire est à la fois un traité de musique et un pamphlet. Comme traité de musique, il échappe à ma compétence ; comme pamphlet dans la guerre des bouffons, il m’est accessible. Il y a je ne sais combien d’articles de ce dictionnaire qui ne sont que des épigrammes sous forme d’aphorismes. Ainsi j’ouvre le livre au mot crier : « C’est forcer tellement la voix en chantant, dit Rousseau, que les sons n’en soient plus appréciables et ressemblent plus à des cris qu’à du chant. La musique française veut être criée ; c’est en cela que consiste sa plus grande expression. » Parfois, l’épigramme tourne à la déclamation voyez, au mot génie, ce qu’il dit des jeunes musiciens et à quels signes ils reconnaîtront s’ils ont du génie, signes, après tout, qu’il est facile d’imiter, puisqu’il ne s’agit que de pleurer, de tressaillir, de palpiter et de suffoquer en écoutant la musique. Mais si le jeune musicien n’a pas ces signes du génie musical, s’il n’a ni délires, ni ravissemens. « oh, alors, s’écrie Rousseau, ne demande pas ce que c’est que le génie ! Homme vulgaire, que t’importerait de le connaître ? tu ne saurais le sentir : fais de la musique française ! » Voilà le trait épigrammatique ; mais quelle peine et quelle pompe pour y arriver ! Parfois aussi, nous trouvons dans ce dictionnaire des traits curieux de caractère et des commentaires inattendus de ses Confessions. Ainsi au mot copiste il remarque d’abord, et cette observation se rapporte à ce que j’ai dit des vicissitudes de la musique, qu’on n’a jamais pu appliquer « l’art typographique à la musique avec autant de succès qu’à l’écriture, parce que, les goûts de l’esprit étant plus constans que ceux de l’oreille, on s’ennuie moins vite des mêmes livres que des mêmes chansons. » Il expose ensuite les devoirs et les soins d’un bon copiste. « Je sens, dit-il, combien je vais me nuire à moi-même, si l’on compare mon travail à mes règles ; mais je n’ignore pas que celui qui cherche l’utilité publique doit avoir oublié la sienne. Homme de lettres, j’ai dit de mon état tout le mal que j’en pense ; je n’ai fait que de la musique française et n’aime que l’italienne ; j’ai montré toutes les misères de la société, quand j’étais heureux par elle ; mauvais copiste, j’expose ici ce que sont les bons. O vérité ! mon intérêt ne fut jamais rien devant toi ; qu’il ne souille en rien le culte que je t’ai voué ! » Que dites-vous de ce dithyrambe à propos des copistes de musique ? Non, ce n’est pas par amour de la vérité que Jean-Jacques Rousseau a dit du mal de la littérature, quoique homme de lettres de la société, quoique alors homme du monde, et de ses copies de musique, quoique copiste ; c’est