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dans le Céleste Empire, le gouvernement britannique avait cru qu’il devait renoncer à tenter, sur les côtes de Chine, un démembrement pour lequel il n’eût point rencontré, comme dans l’Inde, le concours des rivalités indigènes. La conservation de Chou-san perdait une partie de son intérêt du moment qu’on cessait d’y rattacher l’espoir d’établir la domination anglaise dans les provinces maritimes. Il ne restait donc plus qu’une question commerciale ; les frais d’occupation furent placés en regard du chiffre des transactions, chiffre aussi insignifiant à Ting-haë qu’à Hong-kong, et l’abandon de Chou-san fut décidé. Depuis cette époque, les Anglais se sont souvent repentis d’une mesure qui les privait d’un puissant moyen d’action, et semblait livrer leurs intérêts commerciaux à la mauvaise foi du gouvernement de Pe-king. Nous les avons entendus comparer avec amertume cette île féconde, dont la superficie est d’au moins cent soixante milles carrés, au rocher stérile de Hong-kong, énumérer les avantages d’une possession qui dominait à la fois l’embouchure du Yang-tse-kiang et la route du Japon. Nous ne doutons pas qu’une nouvelle rupture ne ramenât les Anglais sous les murs de Ting-haë, et cette fois leur escadre n’y trouverait pas même le simulacre de résistance qui, en 1841, essaya de sauver l’honneur des armes chinoises. La ville de Ting-haë est à la merci de la première flotte qui la voudra prendre. Les murs de la ville, lézardés de toutes parts, menacent ruine, et la grande batterie de la plage semble plutôt un monument grandiose de l’ignorance militaire des Chinois qu’un ouvrage destiné à protéger les abords d’une place de guerre.

C’est en suivant cette magnifique et inutile chaussée que nous arrivâmes à l’entrée du faubourg maritime, où Mgr Lavaissière, qui nous avait devancés à Chou-san, avait envoyé le père Fan pour nous attendre. Nous entrâmes dans la ville par la porte du sud, et, traversant Ting-haë dans toute sa longueur, nous trouvâmes, à quelques pas de la porte septentrionale, une ruelle fangeuse qui nous conduisit sous le modeste toit de chaume où Mgr Lavaissière cachait sa sainte vie. Quelle demeure pour un prince de l’église ! La terre pour parquet, le toit pour plafond, et pour compagnons des longues nuits fiévreuses des escadrons de rats affamés et des essaims de moustiques dont le dard percerait la peau d’un hippopotame ! Je connais un homme qui avait bivouaqué dans les plaines de la Grèce et partagé plus d’une fois le lit de feuillage des palikares, dont la constance n’a pu résister deux jours durant aux douceurs de ce palais épiscopal. Trop heureux cependant lorsqu’il pouvait se reposer de ses longues courses dans ce misérable asile, Mgr Lavaissière y apportait sa gaieté et sa douce égalité d’ame. Entouré des chrétiens qu’y attirait en foule sa présence, il ne songeait qu’à ses chers néophytes, auxquels il apportait quelquefois des secours,