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que le courant de flot eut cessé, nos canots nous remorquèrent avec une ardeur et un enthousiasme qui nous firent bientôt dépasser la roche du Sésostris. En cet instant, une légère brise de sud-est commençait à rider la surface du fleuve ; nos voiles étaient déjà établies, et le premier souffle qui parvint jusqu’à nous les trouva orientées. La Bayonnaise s’inclina doucement, et, se sentant désormais sûre de sa manœuvre, se vit portée sans crainte vers les récifs de la Némésis. La marée commençait à nous seconder ; un sillage plus rapide nous permettait de mieux serrer le vent. Nous n’eûmes pas besoin de virer de bord. En quelques minutes, les têtes de roches qui veillaient, noirâtres et menaçantes, à l’entrée de la passe se trouvèrent dépassées. Nous étions hors de la Ta-hea.


IV

Lorsque la brise de nord-est nous retenait dans la Ta-hea, nous avions plus d’une fois juré que, le jour même où nous sortirions de ce fleuve infernal, nous ferions directement voile pour Macao ; mais à peine la mer libre se montra-t-elle devant nous, que nous oubliâmes et notre long dépit et nos nombreux sermons. Ce fut pour ainsi dire sans y songer que nous revînmes à nos premiers projets. Nous n’étions qu’à dix-huit milles de la grande île de Chou-san, et, bien que le vent soufflât directement du point que nous voulions atteindre, la marée, dont la vitesse dans tous les canaux de cet archipel est d’au moins trois ou quatre nœuds à l’heure, pouvait facilement nous conduire avant la nuit au mouillage de Ting-haë. Toutefois, pour arriver jusque-là, nous avions un labyrinthe dangereux à parcourir : il fallait donc se tenir prêt à manœuvrer avec autant de rapidité que de précision, et notre premier soin devait être de nous débarrasser de l’escadrille que nous traînions après nous depuis notre départ.

Pour procéder plus aisément à cette opération, nous mouillâmes pendant un quart d’heure sous l’île Kin-tang. Après avoir embarqué à bord de la corvette ou hissé sur leurs arcs-boutans extérieurs notre chaloupe et nos cinq canots, nous fîmes route de nouveau vers le sud. La marée était alors dans toute sa force. La pointe méridionale de l’île Kin-tang fut bientôt doublée, l’écueil de Just-in-the-Way dépassé, et, vers quatre heures du soir, emportés par le courant bien plus encore que par la brise, nous donnâmes entre les îles Bell et Towerhil[1]. Après avoir franchi ce passage, nous crûmes ne pouvoir mieux

  1. Ces noms anglais ne sont la plupart du temps que la traduction des noms chinois ; quelquefois ce sont des sobriquets imposés à ces îles par les premiers marins étrangers qui les visitèrent.