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Attiré à Paris par le désir bien naturel de se produire sur un plus vaste théâtre, M. Gordigiani y a été accueilli avec empressement par la haute société, dont l’extrême bienveillance n’est pas toujours sans danger pour un artiste de mérite. Poussé par des conseils qui auraient pu être plus éclairés, M. Gordigiani s’est aventuré à composer une suite de morceaux religieux sur les sujets les plus graves du drame de l’église, tels que Hic est panis, le Credo, le Pater noster, etc. On s’imagine ce que la musette de M. Gordigiani a pu faire de ces thèmes redoutables qui ont été traités par les plus grands musiciens, et pour lesquels il faut au moins autant d’inspiration que de véritable science. Nous n’insisterons pas davantage sur cette tentative malheureuse qui a dû convaincre l’aimable compositeur dont nous nous occupons en ce moment que la distinction des genres n’est pas un vain mot dans les arts, et qu’il ne faut jamais prendre trop au sérieux les succès faciles qu’on obtient dans les salons. Nous pourrions parler encore d’un grand nombre de concerts bruyans et de virtuoses vaniteux qui ne peuvent se consoler de voir le public ingrat, dont ils ont eu un moment les faveurs, les abandonner enfin à leur triste sort ; mais ce qu’on peut dire de mieux de certaines médiocrités comme M. Alexandre Batta et M. Léopold Meyer, c’est de leur appliquer le vers si connu d’un poète vengeur :

Non parliam di loro, ma guarda e passa.

Parlons plutôt de Mlle Charlotte de Malleville, personne charmante, qui joue du piano avec la délicatesse d’une femme bien élevée, et dont les séances de musique de chambre sont suivies avec empressement par la bonne compagnie. Dans la cinquième séance, qui a eu lieu le 13 de ce mois, Mlle de Malleville a exécuté avec beaucoup de succès l’admirable concerto en ré mineur de Mozart, pour piano et accompagnement de grand orchestre. L’andante de ce concerto est un de ces morceaux de musique où se révèle le génie de Mozart, et dont il faut dire ce que Voltaire voulait qu’on mit au bas de chaque vers de Racine Parfait, exquis, divin ! À cette même soirée, nous avons entendu des fragmens d’un sextuor de M. Onslow pour piano, flûte, cor, clarinette, hautbois et basson, qui nous a paru écrit avec beaucoup de soin.

Mme Taccani-Tasca, une des cantatrices distinguées de la bonne école italienne, a donné aussi un concert qui a été fort brillant, et dans lequel elle a chanté la cavatine du Barbier et la charmante barcarolle - la Biondina in Gondoletta - avec beaucoup de succès. Mme Taccani-Tasca possède une grande flexibilité qu’elle dirige avec grace et maestria. Le seul reproche que nous adresserons à cette charmante cantatrice, c’est de ne point varier suffisamment le fonds de son répertoire et de le composer de morceaux généralement trop connus. Ah ! si les cantatrices savaient tout ce qu’il y a de chefs-d’œuvre enfouis dans les vieilles partitions italiennes avant Rossini, que de succès elles pourraient obtenir dont elles ne seraient pas obligées de partager les bénéfices ! — Enfin signalons encore, en terminant, le concert qu’a donné M. Krüger, pianiste distingué, dont l’exécution facile et élégante mérite des éloges. On voit que, pour le nombre aussi bien que pour la qualité, la musique de chambre l’emporte toujours sur la musique dramatique.

P. SCUDO.


THE LITERATURE OF ITALY, a Historical Sketch, by L.-F. Simpson[1]. — L’auteur

  1. London, Bentley, 1851,