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Les idées les plus graves peuvent être exprimées-en images bouffonnes, et c’est même là ce qui constitue l’humour. On se demande pourtant si la théologie de M. Henri Heine est sérieuse, quand on le voit, quelques pages plus loin, nous faire une description si drôle des occupations réservées aux hommes dans l’autre monde. Toutes les objections vulgaires contre le dogme d’une existence meilleure prennent un corps dans cette perfide apologie et se traduisent en exemples burlesques. Celui qui a écrit une telle page n’est pas complètement guéri du panthéisme ; son cœur aspire à un Dieu auquel son esprit n’a pas la force de croire, et cette impuissance, comme c’est l’ordinaire, se venge et se console par l’ironie. La poésie seule lui reste, aussi fraîche et aussi éclatante qu’au premier jour. Il se rappelle son collègue breton du moyen-âge, l’enchanteur Merlin, à qui la mort fut si douce dans la forêt de Brocéliande. Merlin est mort sous les grands chênes de la terre natale, et des oiseaux par milliers chantaient au-dessus de sa tête ; lui, il s’éteint loin des arbres et du soleil, au milieu du vacarme de Paris. Vienne du moins la poésie avec ses magiques prestiges ! Que le monde entier, de l’Asie à l’Amérique, que toutes les religions, que tous les temps se lèvent à son appel, et que, sombres ou joyeuses, maintes images de la longue vie humaine environnent le chevet du mourant !

Tel est, en effet, le caractère du Romancero. La première partie contient, sous le titre d’Histoires, une série de romances, de ballades, de poèmes, empruntés à tous les siècles et brillant des couleurs les plus variées : rois de l’Égypte, empereurs de Siam, abbés, nonnes, barons du moyen-âge, souverains des temps modernes, peuples révolutionnaires et sauvages du Nouveau-Monde, les figures les plus dissemblables sont réunies dans cette galerie éclatante. Après avoir ainsi promené sa fantaisie dans tous les temps de l’histoire, après avoir évoqué toutes ces figures, les unes tragiques, les autres bouffonnes, destinées à lui représenter le mouvement confus du genre humain, c’est en son nom que M. Henri Heine prendra la parole. Le second livre du Romancero est intitulé : Lamentations. Ces lamentations commencent assez gaiement par de vives satires littéraires, mais bientôt, dans une suite de pièces inscrites sous le nom de Lazare, le poète écrit le journal de ses impressions de malade. Ce sont des rêves, des cauchemars, des réminiscences singulières, des épigrammes qu’il décoche de droite et de gauche pour solder d’anciens comptes, puis des attendrissemens inattendus ou bien des railleries sinistres sur la mort qui frappe à la porte. Ici, il se voit déjà enfermé dans la bière, et il décrit, avec une gaieté poignante, la visite qu’une compagne aimée fera l’année prochaine sur son tombeau. Il lui parle du fond du sépulcre, il la raille et se fait un jeu de contester sa douleur. Quoi donc ! même après la