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insu quelque boisson mensongère d’aspect et de goût. L’alchimiste, d’ailleurs, n’est pas si bien caché derrière son rideau, que vous n’entrevoyiez son coup d’œil moqueur, que vous n’entendiez son rire narquois. Il alléguera peut-être pour excuse qu’avant de vous griser, il s’est grisé lui-même ; mais cela suffit-il à vous justifier ? Et ne gardez-vous pas quelque secret remords, vous, homme sensé, de vous être laissé mystifier par cette folie railleuse et perfide qui se gausse de vous lorsqu’elle vous a fait tomber dans les rets où elle est prise ? Hawthorne au contraire, dans ses plus fantastiques inventions, et lorsqu’il use le plus largement de son pouvoir mystérieux pour transformer devant vous les réalités de ce monde en spectres étranges, en apparitions prestigieuses, n’obéit jamais qu’au désir de vous rendre meilleur en vous montrant, sous l’allégorie attrayante, la vérité sévère. Un conte d’enfant à dormir debout lui suffit pour vous faire réfléchir, et profondément, sur quelque vice ignoré de votre nature, sur quelque iniquité des jugemens humains, sur quelque préjugé vivace à qui les révolutions philosophiques ont laissé ses racines à moitié pourries. Tous les nobles instincts sont en lui : l’indulgence et la miséricorde chrétiennes, la résistance à l’oppression, la soif du juste et du vrai ers toutes choses, et, pour parler comme son ami Emerson, « l’amour de l’amour, la haine de la haine. »

En témoignage de ce que nous disons ici de Hawthorne, nous pourrions le citer lui-même, en reproduisant les nombreux passages où il parle de sa jeunesse entourée d’amitiés nombreuses, actives, zélées, et de la reconnaissance qu’il leur doit. Ce sont elles qui l’ont révélé à lui-même, encouragé, soutenu. C’est parmi elles qu’il a trouvé les hérauts de sa naissante renommée, les propagateurs assidus de son talent trop délicat et d’allure trop discrète pour arriver vite aux honneurs de la popularité.

« Si quelqu’un, dit-il à l’un de ces amis dévoués, si quelqu’un est responsable de ce que je suis aujourd’hui « un auteur » de profession, c’est vous, à coup sûr. Je ne sais d’où vous vint cette foi bizarre ; mais lorsqu’ensemble nous étions, bien jeunes encore, les élèves d’un collège de province, — élèves flâneurs, sujets pendant les heures d’études à chercher des baies bleues sous les pins altiers de l’académie, à contempler les troncs d’arbres flottans qui s’entrechoquaient dans le courant de l’Androscoggin, à fusiller au sein des bois voisins les pigeons changeans, les écureuils gris, à canarder les chauves-souris planant à travers le crépuscule d’été, ou bien encore à pêcher la truite dans ce petit ruisseau tout couvert d’ombre qui s’en vient, emmi la forêt, rejoindre la rivière ; — bref, occupés à cent œuvres de paresseux, que la Faculté ne nous eût jamais pardonnées, si elle les eût connues : — eh bien ! dès ce temps-là, pronostic bien improbable, vous annonciez à votre ami qu’il écrirait, qu’il écrirait des romans, que c’étaient là sa vocation et sa destinée.

« Fait comme dit. J’accomplis votre prédiction ; mais que de temps écoulé