au bon sens et à l’intérêt des princes, tandis que les fanfaronnades et les violences n’aboutiraient qu’à rendre le joug plus pesant. Telle fut la politique que soutint M. Libri quelque temps dans le Journal des Débats, à la grande indignation des libéraux français et italiens. Il eut l’honneur d’être brûlé en effigie en Toscane, et en France d’être injurié dans toutes les feuilles de la propagande révolutionnaire. On le représentait comme un traître vendu à l’Autriche, et dès-lors on commença à répandre sur son compte des bruits injurieux, suivis bientôt de dénonciations anonymes. Un magistrat s’en émut ; il sut que M. Libri avait vendu beaucoup de livres en 1847, qu’il en avait encore un très grand nombre, que certaines bibliothèques visitées par lui avaient fait des pertes considérables. Ne connaissant ni M. Libri, ni les livres, ce magistrat fit part de ses soupçons au garde-des-sceaux et lui demanda s’il fallait faire une enquête ? Quelques jours seulement avant la révolution de février, M. Libri, ayant eu connaissance des dénonciations dont je viens de parler, adressa au parquet une note pour demander à traduire ses calomniateurs devant les tribunaux. La réponse à cette note fut le Rapport de M. Boucly, dont il ne paraît pas que M. Libri ait eu connaissance avant l’insertion au Moniteur.
Vous savez, monsieur, que, le 28 février 1848, M. Libri reçut à l’Institut un billet d’un rédacteur du National, lui annonçant en termes clairs qu’il était menacé d’une vengeance populaire s’il ne quittait la France sur-le-champ. En février 1848, un tel avis n’était pas à négliger. M. Libri partit pour Londres, et, quelques jours après, la justice saisit ses papiers et ses livres. Le ministre de l’instruction publique désigna pour les examiner cinq élèves de l’École des chartes et un employé de son ministère, habile bibliographe. Bientôt après, ce dernier qui trouvait à redire à la façon dont l’enquête était conduite, fut éloigné, et les élèves de l’École des chartes, payés à tant par jour, instrumentèrent seuls pendant vingt-cinq mois.
Vous remarquerez, monsieur, que le choix des experts n’était peut-être pas le meilleur qui pût être fait. Ils appartenaient tous à un corps notoirement hostile à l’accusé, et quelques-uns étaient attachés au comité de rédaction du journal de l’École des chartes, lorsque ce journal publia en 1847 des insinuations fort malveillantes contre M. Libri. Le même journal annonça le premier qu’on avait trouvé au ministère des affaires étrangères le rapport de M. Boucly, et cette annonce, ressemblant assez à une dénonciation, paraît avoir provoqué la publication de ce document et, peu après, la poursuite judiciaire[1]. Enfin, d’un
- ↑ Il n’est peut-être pas hors de propos de rappeler ici que le Moniteur du 19 mars 1845 publia le rapport de M. Boucly, trouvé au ministère des affaires étrangères. Le 22 mars, M. de Lamartine, étant alors à la tête de ce département, fit insérer au Moniteur : que cette pièce n’appartenait pas à ses archives, et qu’aucun document n’était sorti de son ministère pour être livré à la publicité. À quoi le Moniteur du 23 mars répondit « que le rapport Boucly avait été trouvé pendant les journées du combat dans un carton placé dans le cabinet de M. Guizot. » Il ajoutait : « La pièce existe au ministère de l’instruction publique. » Il suit de tout cela que les membres du comité de rédaction du journal de l’École des chartes, s’ils n’ont pas trouvé le rapport Boucly au ministère des affaires étrangères, l’ont trouvé au ministère de l’instruction publique et l’ont produit dans le monde. Je ne recherche pas s’ils ont bien ou mal fait ; je crois seulement que leur diligence en cette occasion ne les recommandait pas pour diriger une enquête.