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un auteur arménien du Ve siècle de notre ère, Moïse de Khorène, qui a écrit, du style le plus élégant et avec une érudition consommée, les annales de sa patrie. Non-seulement Moïse a consulté Mir Iba Katina et une foule d’historiens syriens, persans ou grecs, et parmi ces derniers plusieurs qui sont maintenant perdus, mais encore il s’est appuyé plus d’une fois des traditions et des poésies populaires qui circulaient de son temps dans son pays. Aussi son livre est considéré par ses compatriotes à la fois comme un chef-d’œuvre littéraire et comme un monument national où sont inscrits les titres de leurs plus vieilles origines.

Quoique les documens tirés des archives assyriennes et consignés dans le volume chaldéen dont Mar Iba Ratina retrouva une version grecque nous présentent aujourd’hui quelques traces de remaniemens opérés soit par le traducteur, soit par Mar Iba Ratina lui-même, dans le sens des idées grecques qui se répandirent dans l’Orient à la suite des conquêtes d’Alexandre, et des notions bibliques qu’avaient mises en circulation les Juifs disséminés dans les pays riverains de l’Euphrate et du Tigre, il n’en est pas moins vrai que la compilation de l’écrivain syrien est basée sur des récits où abondent des détails locaux qui trahissent une provenance très ancienne et authentique.

Suivant ces récits, Haïg, l’un des compagnons de Bélus (Bel), roi d’Assyrie, fut le père de la nation arménienne et lui communiqua son nom. Il est nécessaire de savoir, en effet, qu’elle n’a point adopté celui que lui ont imposé les peuples étrangers, et qu’elle s’appelle elle-même Haïk, et la contrée qu’elle habite Haïasdan. Étant parti de Babylone, Haïg se dirigea vers le nord, et vint se fixer, au pied d’une montagne au sud de la mer d’Aghtamar ou lac de Van, dans un endroit où vivaient éparses çà et là quelques-unes des premières familles qui s’étaient dispersées sur la surface de la terre. Il les soumit à sa domination et commença à se créer un petit état. Cette immigration de Haïg semble avoir été un mouvement des nations de race sémitique venant se superposer aux populations de souche japhétique, qui eurent pour domaine spécial les régions septentrionales. Ce n’est pas le seul exemple d’une fusion entre ces deux races qui se soit opérée sur le sol de l’Arménie. L’une des familles les plus considérables de ce pays, celle des Bagratides, à laquelle était réservée plus tard une brillante destinée, puisque dans le IXe siècle elle s’assit sur le trône et s’y maintint jusque vers la moitié du XIe, comptait parmi ses ancêtres Schampad, un des Juifs emmenés captifs par Nabuchodonosor à Babyloue. Une autre famille non moins puissante, les Ardzrounis, qui dictait des lois à la vaste province de Vasbouragan, était issue de Sannasar, un des fils de Sennachérib, roi d’Assyrie, qui, après avoir tué leur père, se réfugièrent en Arménie.