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triomphe, puis on a une demi-lieue à faire avant de gagner la place du Palais. De temps en temps, on traverse les ponts des canaux, qui font d’Amsterdam une Venise régulière dessinée en éventail. Les canaux forment, comme on sait, une série d’arcs successifs, dont le port est l’unique corde. La ville est trop connue pour qu’il soit nécessaire de la peindre plus minutieusement. Les grands bassins qui coupent çà et là le dessin dont je viens de donner une idée sommaire sont comme à Rotterdam et à La Haye, bordés de magnifiques tilleuls qui se découpent en vert sur les façades de briques, dont quelques-unes ont peintes, mais où les pignons dentelés, festonnés et sculptés du vieux temps se sont conservés mieux qu’en Belgique. On a peint et décrit le bords de l’Amstel où les couchers de soleil sont si beaux, le groupe de tours lui s’élève entre le port et le grand bassin, les hautes flèches découpées à jour des anciennes églises devenues temples protestans, — et que l’on peut toujours comparer à ces coquillages splendides où l’oreille attentive croit distinguer un vent sonore, mais d’où la vie qui leur était propre s’est retirée depuis long-temps.

Si l’on veut voir la Venise du nord dans toute sa beauté maritime, il faut d’abord parcourir le quai d’une lieue qui borde le Zuiderzée. Les vaisseaux, paisibles dans les bassins comme ces hautes forêts de sapins que le vent agite à peine, font contraste à la flotte éternelle qui, de l’autre côte, sillonne la mer agitée ou paisible Il y a là des cafés élevés sur des estacades et entourés de petits jardins flottans. Tout le quai est bordé de buffets de restauration et où l’on peut consommer debout des concombres au vinaigre, des salades de betterave, des poissons salés arrosés de thé et de café. On remplace le pain par des oeufs durs.

Rien n’est plus engageant que les grandes affiches et les inscriptions peintes des bureaux de stamboot qui annoncent des départs continuels pour Leuwarden en Frise, pour Saardam, qu’ils appellent Zaadam, pour Groningue, pour Helgoland, pour le Texel ou pour Hambourg. Si nous ne voulons qu’admirer la magnifique perspective d”Amsterdam, mettons le pied sur le paquebot de Saardam, qui, trois fois par jour, transporte les promeneurs sur le rivage de la Nord-Hollande. Le bateau fume et se détache de l’estacade prodigieuse chargée d’un petit village de comptoirs et d’offices maritimes, de restaurans et de cafés. — Déjà toute la ligne du port vous apparaît dentelée au loin par les découpures des toits variés de dômes et de tours aux chaperons aigus au-dessus desquels se dressent, sur trois ou quatre points, de hauts clochers ouvragés comme les pions d’un échiquier chinois. Puis le panorama s’abaisse ; chaque dôme, chaque flèche fait le plongeon à son tour. Seule, la vieille cathédrale, située à gauche, lève toujours son doits de pierre, dont on aperçoit la dernière aiguille de l’autre côté du