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mais elle s’éloigna en silence, atteignit le détour du chemin, et disparut sans avoir tourné la tête.


II

Renée tint parole : à partir de sa conversation avec le père d’Urbain, elle évita soigneusement les occasions de rencontrer son fils. Auparavant, elle avait sans cesse quelques demandes à faire au nom de son parrain ou pour elle-même ; il ne s’écoulait point un seul jour sans qu’on la vît à la maisonnette du passeur, ou sans qu’Urbain se présentât à la nouvelle demeure du grand boisier ; elle cessa tout à coup ses visites et évita celles de son jeune voisin. Celui-ci, d’abord surpris, voulut en vain découvrir la cause d’un pareil changement. Ainsi que Renée l’avait affirmé à Robert, leur intimité s’était bornée jusqu’alors à une préférence tacite qui ne pouvait donner de prétexte à aucune explication : sans engagemens réciproques, ils n’avaient rien à se demander. Le passeur était précisément intervenu à ce moment où les chaînes, déjà soudées à chaque cœur, ne s’étaient point réunies pour former un lien commun. Pris des deux côtés, ils n’avaient pu se faire aucun aveu et se trouvaient sans droits l’un sur l’autre. Il en résulta pour Renée plus de facilité à dénouer leurs habitudes familières, et pour Urbain l’impossibilité de se plaindre.

Cependant, si l’amour silencieux du jeune homme le laissait sans privilège, il n’en était ni moins ardent ni moins absolu. L’espèce de mystère même dans lequel il avait grandi lui donnait l’irrésistible élan de toute passion que l’expérience n’a point éprouvée. L’attachement le plus sincère s’amoindrit souvent à l’essai ; mais, tant qu’il demeure dans le domaine de l’idéal, tout l’exalte. L’essaim des illusions l’enveloppe et l’emporte toujours plus haut, comme ces chérubins qu’on nous peint dans les ascensions de la mère du Christ. Pour tous les bonheurs de la terre, quels qu’ils soient, la réalité reste au-dessous du rêve, et l’ardeur de la possession ne peut être comparée à celle de l’espérance. Aussi l’amour inavoué d’Urbain s’était-il insensiblement emparé de tout son être ; le jeune homme en avait fait l’unique objet de ses méditations ; il y rapportait tous ses efforts, tous ses souhaits. Le brusque abandon de Renée lui enleva subitement cette occupation secrète de sa vie. En cessant de la voir et de l’entendre presque à toute heure comme par le passé, il sentit qu’il se faisait autour de lui une sorte de vide et de silence général. Il avait d’abord multiplié les tentatives pour se rapprocher de la jeune fille ; mais, quand il reconnut l’intention visible de le fuir, il pensa que sa recherche déplaisait, et qu’il devait renoncer à tout espoir. Quelque cruelle que fût la découverte, il ne chercha point à la repousser. Esprit simple et cœur vaillant,