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au coin de son humeur libre et moqueuse. Dans la première guerre de Paris, où Condé, fidèle encore aux vrais intérêts de sa maison, tenait pour la cour, un des chefs les plus ardens du parti contraire était le comte de Maure, cadet du duc de Mortemart, oncle de Mme de Montespan, le mari d’Anne Doni d’Attichy, l’intime amie de Mme de Sablé. Le comte opinait toujours, dans les conseils de la Fronde, pour les résolutions les plus téméraires. Les Mazarins le tournaient en ridicule et l’accablaient d’une grêle d’épigrammes. Bachaumont, un des auteurs du célèbre Voyage de Chapelle et Bachaumont, avait fait contre lui des triolets qui se terminaient ainsi[1] :

Buffle à manches de velours noir
Porte le grand comte de Maure.
Sur ce guerrier, qu’il fait beau voir
Buffle à manches de velours noir !
Condé, rentre dans ton devoir,
Si tu ne veux qu’il le dévore.
Buffle à manches de velours noir
Porte le grand comte de Maure.

Condé, à ce qu’assure Tallemant, témoin bien informé et nullement suspect, ajouta le couplet suivant :

C’est un tigre affamé de sang
Que ce brave comte de Maure.
Quand il combat au premier rang,
C’est un tigre affamé de sang.
Mais il n’y combat pas souvent ;
C’est pourquoi Condé vit encore.
C’est un tigre affamé de sang
Que ce brave comte de Maure.

Il comptait parmi ses meilleurs lieutenans le comte de Marsin, le père du maréchal, qui était un véritable homme de guerre. Condé en faisait le plus grand cas ; mais il ne l’épargnait pas pour cela. Un jour, à table, en buvant à sa santé, il improvisa sur un, air alors fort à la mode cette petite chanson[2], qui n’a jamais été publiée, et qui nous semble jolie et piquante :

Je bois à toi, mon cher Marsin.
Je crois que Mars est ton cousin,
Et Bellone est ta mère.

  1. Tallemant, t. II, p. 337, attribue ces couplets à Bachaumont ; Mme de Motteville, t. III, p. 230, les donne sans nom d’auteur, et on les retrouve avec bien d’autres dans une longue mazarinade intitulée Triolets de Saint-Germain, in-4o, 1649.
  2. Bibliothèque de l’Arsenal, Belles-Lettres françaises, n° 70, recueil in-fol intitulé Chansons notées, t. II, p. 66.