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Balzac, et put s’entretenir avec lui de Rome et des Romains. Qu’on lise les discours sur les Romains adressés par Balzac à la marquise de Rambouillet[1], et l’on verra si les conversations de ce temps-là étaient futiles. J’ose dire qu’il n’y eut jamais en France un temps où la politique fût plus à l’ordre du jour. Tout le monde alors s’occupait des affaires publiques. Ce n’est pas en étudiant Lucain ni même Tacite que Corneille a trouvé la langue politique de Cinna et de la première scène de la Mort de Pompée. La vraie école de Corneille a été le spectacle de ce qui se passait autour de lui, le récit des grands événemens contemporains, les conversations de Richelieu et de ses familiers, le P. Joseph, Mazarin, Lyonne, et celles qui se tenaient chaque jour dans les sociétés qu’if fréquentait, où les ambassadeurs, les hommes de guerre, les évêques, les conseillers d’état étaient mêlés aux gens de lettres. Corneille lut toutes ses pièces à l’hôtel de Rambouillet. Il y lut Horace en 1640, Cinna en 1642, et son chef-d’œuvre, le chef-d’œuvre aussi de la scène française, Polyeucte, en 1643, c’est-à-dire dans les plus grands jours de l’hôtel de Rambouillet, j’ajoute et de la France, car c’est en cette même année 1643 que l’un des plus jeunes disciples de l’illustre hôtel, l’admirateur le plus passionné de Corneille, le frère de Mlle de Bourbon, le duc d’Enghien, le cœur rempli, comme le Cid, d’un amour ardent et chaste, gagnait, à vingt-deux ans, par une manœuvre digne d’Alexandre et de César, une de ces batailles comme il y en a cinq ou six dans l’histoire, cette bataille de Rocroy où les desseins d’Henri IV et de Richelieu furent justifiés par la victoire, et où la France succéda à l’Espagne dans la suprématie morale et militaire de l’Europe.

Voiture a été admiré de ses contemporains les plus spirituels et les plus difficiles. La Fontaine le met au nombre de ses maîtres[2]. Mme de Sévigné l’appelle un esprit « libre, badin, charmant[3]. » Boileau dit assez que Voiture est, à ses yeux, le mets des délicats, lorsqu’il introduit un esprit vulgaire, une sorte de provincial demandant ce qu’on y trouve de si beau[4]. Avouons-le, nous ressemblons tous plus ou moins à ce provincial-là : nous avons peine aujourd’hui à retrouver les titres de la renommée de Voiture. On en peut donner plusieurs raisons, qui ne font tort ni à Voiture ni à nous.

  1. Œuvres de Balzac, in-fol., t. II, p. 419.
  2. Maître Vincent, etc.
  3. Lettre du 24 novembre 1679.
  4. Satire troisième.