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concours de forces Montevideo, assiégée depuis dix ans par Oribe, a été dégagée. Le gouvernement enfermé dans la ville a appelé à son aide le Brésil et le général Urquiza, armé contre Rosas. Le premier but de l’alliance, si l’on veut, a été atteint. Rosas et Oribe ont disparu de la scène ; mais c’est ce qui suit qui est le plus curieux. Des élections ont été faites dans l’Uruguay, un président a été nommé, et sur qui a porté le choix du pays ? Justement sur un partisan avéré du général Oribe, M. Francisco Giro. On conviendra de la singularité du résultat dans un pays représenté comme fort opposé à Oribe et de plus occupé encore au moment des élections par les forces brésiliennes. Le vrai motif de cette élection, c’est un certain ressentiment national contre les traités passés par le gouvernement de Montevideo avec le Brésil, traités dont la ratification a rencontré d’assez sérieux obstacles : l’un d’eux, on s’en souvient, cède à l’empire, sous prétexte de délimitation, une assez considérable portion de territoire contiguë à la province brésilienne de Rio-Grande. Reste à savoir quel sera le résultat de ce froissement entre l’État Oriental et le Brésil. En même temps, une difficulté d’un autre genre s’élevait entre Montevideo et Buenos-Ayres à l’occasion d’une note de M. l’amiral Leprédour. Après les derniers événemens, les hostilités cessant entre les deux états, l’amiral Leprédour n’a point cru devoir prolonger plus long-temps du côté de la France la séquestration de l’îlot de Martin-Garcia. Il a rappelé le navire français qui croisait sur les côtes, en invitant les deux gouvernemens à s’entendre sur l’occupation même de l’île. À quoi celui de Buenos-Ayres a répondu d’une façon assez vive, en revendiquant la propriété pure et simple de Martin-Garcia, sans admettre qu’il pût y avoir lieu à d’autres arrangemens. Le gouvernement de Montevideo a cédé ; il a retiré ses soldats qui occupaient encore l’île, en réservant néanmoins le principe. Ainsi, moins de deux mois après la grande pacification de la Plata, voici pour Montevideo deux incidens plus graves qu’ils ne paraissent de prime-abord, sans compter les complications intérieures qui en pourraient naître. La modération et le bon esprit des gouvernemens peuvent un moment assoupir ces germes de divisions ; mais il est difficile qu’ils ne se réveillent pas quelque jour, parce qu’en réalité, — d’une part, les mésintelligences qui s’élèvent sans cesse sous une forme ou sous l’autre entre le Brésil et les états de la Plata ne tiennent pas à des circonstances accidentelles, à la présence de tel ou tel homme au pouvoir : elles sont dans la nature des choses, elles tiennent au vieil antagonisme de la race espagnole et de la race portugaise dans le Nouveau-Monde ; — d’un autre côté, cette difficulté de relations qui s’est si souvent manifestée entre Buenos-Ayres et Montevideo, et dont l’incident de Martin-Garcia est un nouveau symptôme, ne tenait point davantage uniquement à Rosas : elle s’explique par la rivalité permanente, mal entendue, nous le croyons, de ces deux villes, qui se disputent l’influence commerciale dans la Plata, tandis qu’elles pourraient la partager et prospérer également toutes deux. Le gouvernement nouveau de Buenos-Ayres, on peut le croire, n’a point à cet égard une autre politique que celle de Rosas.

À Buenos-Ayres même, sur la rive droite de la Plata, la situation est-elle beaucoup meilleure ? Là aussi des élections vont avoir lieu pour nommer une chambre des représentans, qui aura elle-même à élire le gouverneur de la province. En attendant, le pouvoir est resté entre les mains d’un gouvernement