Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/1001

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en lui montrant le livret français de Marsolier, qui avait été mis en musique par Dalayrac en 1786 : « Si je réussis à rendre tout ce que m’inspire ce sujet, j’aurai fait mon chef-d’œuvre. » Et Paisiello ne s’est pas trompé. Est-il besoin de citer tous les morceaux remarquables que renferme cette délicieuse partition : le chœur de l’introduction Dormi, o cara, la romance si connue avec le beau récitatif qui la précède, le duo O momento fortunato ! entre Nina et Lindoro, le finale du second acte, et la chanson admirable du pâtre qui semble avoir été soupirée par les pipeaux d’un berger de Théocritet On assure en effet que cette mélodie pleine de langueur est un chant populaire de la Sicile que Paisiello aurait recueilli, et dont il avait déjà tiré la première phrase de ce duo de la Molinara :

Il mio garzon il piffero suonava
E accanto il mio molino io fatigava.

L’oeuvre de Paisiello, qui ferme le XVIIIe siècle, porte les traces irrécusables du pays et de l’école où s’est développé ce musicien délicieux. Dans la génération nouvelle qui s’est produite depuis cinquante ans, Bellini est le seul compositeur italien qui rappelle fortement les vieux maîtres napolitains, et surtout Paisiello. Né sous le même climat, doué d’une ame tendre et mélancolique qui recherche la solitude et se complaît dans un cercle assez restreint de sentimens aimables, Bellini se sépare brusquement de la foule bruyante d’imitateurs qui suit le char de Rossini, et il va donner la main à Paisiello, dont il rajeunit la touchante mélopée. Dans le chef-d’œuvre du jeune maestro de Catane, on retrouve il dolce lamento de la Nina, l’œuvre bien-aimée de Paisiello.

Entre le compositeur dramatique et les virtuoses chargés de rendre sa pensée, il y a un échange de services, de forces et d’influences dont on ne s’est pas suffisamment occupé à démêler les résultats curieux. Tel chanteur éminent qui pose devant le musicien comme un modèle devant un peintre d’histoire éveille souvent dans l’imagination du maître un ordre d’inspirations qui auraient pu, sans lui, rester endormies. Très souvent aussi un artiste médiocre ou capricieux oblige le compositeur à subir son mauvais goût et l’entraîne dans sa chute. À de rares exemples près, on peut juger du mérite et du style d’un virtuose par les opéras où il a brillé et par les rôles qui ont fait sa réputation. Tout grand compositeur dramatique qui vient renouveler ou simplement modifier les formes existantes de l’art suscite une pléiade de chanteurs qui s’inspirent de son génie, et il y a des époques où les imitateurs d’un chef d’école ne font un instant illusion aux contemporains que grace à des virtuoses habiles qui donnent à leurs pâles compositions un éclat passager. Aussi l’art de chanter, comme nous avons eu souvent occasion de le dire, se ressent-il toujours des mouvemens