Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/997

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’y avait pas, dans les modèles qu’il offrait à la littérature et au théâtre, quelque chose de supérieur au monde des Marguerite Gautier, aux pièces qu’elles inspirent et au public qui les applaudit.

Si l’on passe de ces succès équivoques et de ces réhabilitations téméraires à certaines ovations musicales, il semble que l’on entre dans un domaine exceptionnel où la critique perd ses droits. Les premières représentations de l’Opéra-Comique deviennent décidément de vraies fêtes de famille ; on n’y aperçoit partout que figures épanouies et regards sourians. Les habitués de l’endroit vous avertissent naïvement qu’ils sont sûrs d’avance d’un grand succès : en effet, le succès a lieu, et tout se passe si bien à point nommé, bravos, rappels, ovations et fleurs, que l’on dirait un programme réglé d’avance, comme pour un anniversaire ou une cérémonie.

Il est bien convenu à l’Opéra-Comique que M. de Saint-Georges est un habile homme, que nul ne l’égale dans l’art difficile d’enchevêtrer le tissu d’un drame lyrique et de préparer des situations musicales. Ne chicanons pas là-dessus, et avouons bien vite, avec les connaisseurs, que le Carillonneur de Bruges est de la force de Raymond et du Château de la Barbe-Bleue. Seulement, ce qui est regrettable, c’est que l’ingénieux auteur de ces poèmes s’égaie si rarement, qu’il s’obstine au pathétique, et qu’il condamne des musiciens d’un talent gracieux et fin, comme MM. Ambroise Thomas et Grisar, à écrire des opéras dont les dimensions et les allures dépasseront bientôt, si l’on n’y prend garde, Semiramide et Guillaume Tell. Ce Carillonneur dure plus de quatre heures. En vérité, quels que soient les mérites du poème, la verve étincelante du dialogue, l’originalité des caractères, on est tenté de dire comme Bélise :

Ah ! tout doux, laissez-nous, de grace, respirer.


M. Grisar, nous le croyons, ne pouvait que perdre quelques-unes de ses qualités charmantes en se déployant dans ce cadre gigantesque. Son vrai genre, quoi qu’il fasse, c’est cette gaieté mélodieuse, si délicatement mise en relief dans Gilles Ravisseur. Toutefois, il serait injuste de ne pas reconnaître les beautés de sa nouvelle partition. L’ouverture, qui commence d’une façon un peu confuse, se dessine et se dégage dans la seconde partie. Une phrase de violoncelle, d’une expression tendre et mélancolique, arrive à temps pour reposer l’oreille, déjà inquiétée de tous ces cuivres. Le rideau se lève sur une marche d’un effet entraînant, suivi de jolis couplets chantés par Mésangère. La romance de Béatrix a du caractère et de l’ampleur. L’air du carillonneur, quoique nuancé avec beaucoup d’art, est long et froid. Au second acte, le duo des deux femmes : Dans mes bras, ma soeur !… est rempli d’élan et de tendresse. Puis vient le morceau le plus applaudi de l’opéra, le boléro de Mésangère. Cela est vif et charmant : les notes aiguës de Mlle Miolan, ses délicates vocalises se détachent à merveille sur le tissu de la mélodie. Là M. Grisar retrouve ses vraies cordes : il a dû s’apercevoir au succès unanime de ce morceau qu’il faisait fausse route, lorsqu’il écrivait des finales comme celui de ce second acte, où il y a certainement autant de musique que dans une partition tout entière de Grétry ou de Dalayrac. Pourquoi ces velléités italiennes ? Pourquoi ces réminiscences d’Otello, de la Sonnambula, de Lucia ? A quoi bon imiter ou rappeler Rossini et Bellini,