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de sa parole comme de sa situation, le disait spirituellement : « Supposez que nous traversions un désert, et qu’un lion soit là endormi près de nous ; notre guide, familier des lieux, nous dit de rester calmes et silencieux ; si quelqu’un de nous prétend avoir le droit de faire du bruit, je crois que nous serons tous d’accord pour lui fermer la bouche et lui dire : Si vous voulez être dévoré, nous ne voulons pas l’être, nous. — Autre cas : supposez que, malgré la prudence et toutes les précautions possibles, le lion se réveille et s’élance sur nous ; alors, si nous sommes des hommes, il faut combattre. » On ne saurait envelopper de plus d’esprit un conseil de sagesse qui sait faire la juste et naturelle part du patriotisme. Le discours de M. d’Azeglio a exercé un effet décisif sur la discussion et sur le vote. Le projet ministériel a fini par obtenir même les suffrages de cette fraction plus avancée du parlement dont M. Ratazzi est l’un des orateurs, ce qui est dû sans doute au vœu exprimé d’un autre côté par MM. Menabrea et Balbo de voir le gouvernement aller plus loin dans ses mesures sur la presse. L’orage parlementaire, qui n’a point éclaté dans la discussion de la loi de la presse, a failli se produire à la suite, au sujet de quelques mots prononcés sur la bataille de Novare, dont le souvenir douloureux pèse sur l’opposition piémontaise. Une enquête a été demandée sur les faits qui ont caractérisé cette triste époque. Mais dans quel but une enquête ! Quel autre résultat en peut-on retirer que de remettre aux prises des passions et des susceptibilités dangereuses ? C’est ce qui a décidé sans doute l’auteur même de la proposition, M. de Revel, à la retirer. Ces divers incidens, comme on le voit, laissent dans une sécurité complète en ce moment le cabinet de Turin. Une modification, il est vrai, dans sa composition, paraît être sur le point de s’accomplir. Le ministre de la justice, M. Deforesta, se retirerait, et serait remplacé par le ministre de l’intérieur, M. Galvagno, auquel succéderait d’un autre côté l’intendant de Turin, M. de Pernati. Rien de politique cependant ne semble déterminer ces changemens, et rien ne fait présager surtout qu’ils doivent être suivis prochainement de modifications plus graves.

En Angleterre, le cabinet de lord John Russell a succombé de la manière la plus inattendue. Quelques jours avant sa chute, tout le monde s’inquiétait de sa mort prochaine ; le jour et l’heure étaient fixés ; d’après un arrangement conclu à l’amiable entre le comte de Derby et lord John Russell, le ministère whig devait succomber dans la séance où seraient discutées les affaires des colonies. Il devait succomber loyalement, se laisser tuer généreusement, et il était convenu qu’il se tiendrait pour bien mort cette fois, qu’il n’userait pas de ces stratagèmes qui lui étaient si familiers, et dont il avait tant usé et abusé dans la précédente session. Enfin ce cabinet, qui était habitué à la résurrection, avait annoncé lui-même le jour de son décès définitif. Lord Palmerston ne s’y est pas fié, à ce qu’il paraît, et lui qui connaît le tempérament vivace de l’administration dont il avait fait partie, a tenu à honneur d’être lui-même son exécuteur.

On ne peut nier la supériorité de la tactique employée à cette occasion par l’ancien ministre des affaires étrangères ; il s’est bien gardé de faire de son renvoi une cause d’opposition. Il s’est effacé personnellement, et il a fait succomber ses anciens collègues sous une question qui intéressait, non plus les personnes gouvernantes, mais l’esprit national lui-même et les intérêts les plus