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l’armée visigothe célébra en grande pompe, avec force chants, cliquetis d’armes et cris discordans : il y présida en qualité de roi, car les Goths l’élevèrent sur le pavois en remplacement du roi défunt.

Cette mort de Théodoric, à deux cents lieues de son pays, était un grand événement pour les Goths, dont les rois étaient électifs, quoique pris au sein de la même famille. Le jeune Théodoric, il est vrai, avait consenti sans difficulté à la proclamation de son frère Thorismond ; mais les quatre frères restés à Toulouse reconnaîtraient-ils aussi aisément un choix qui n’émanait que de l’armée ? Maîtres du gouvernement, maîtres du trésor de leur père, ne chercheraient-ils pas à se créer un parti, à soulever la multitude, à s’emparer de la royauté : chose assez facile, conforme d’ailleurs aux habitudes des Visigoths et au caractère particulier de jeunes princes que l’on savait ambitieux et hardis ? Il y avait plus d’une révolte au fond de ce trésor du roi défunt, qui n’était pas autre que celui d’Alaric, et renfermait les plus riches dépouilles de Rome et de la Grèce. Thorismond, rongé d’inquiétudes, eût voulu déjà être à Toulouse, afin de prévenir ou de contenir ses frères ; mais la honte le retenait près d’Aëtius. Il alla donc trouver le Patrice, dont l’âge et la mûre prudence sauraient le conseiller, disait-il, et, au nom de son père Théodoric, dont il voulait venger la mort, il proposa de livrer l’assaut au camp des Huns.

Aëtius, qui connaissait bien les ruses et la mobilité de l’esprit barbare, comprit que les regrets tardifs de Thorismond cachaient une menace de départ : il ne se montra pas d’humeur à changer un plan mûrement délibéré et à tourner peut-être la fortune contre lui pour des alliés qui faisaient si bon marché de l’intérêt romain. Feignant d’entrer dans toutes les craintes de Thorismond au sujet de ses frères, il n’objecta rien à son projet d’emmener l’armée visigothe, si l’on n’attaquait pas Attila. C’était une véritable désertion ; mais, après la conduite de ce peuple au commencement de la guerre, il n’y avait pas de quoi s’étonner ; puis, les Romains étaient habitués à ces retours capricieux, à cette perpétuelle fluctuation de la part d’alliés imprévoyans, égoïstes, toujours plus empressés d’affaiblir que de fortifier l’empire qui les avait admis dans son sein. L’histoire ajoute qu’au fond Aëtius ne fut pas fâché de se débarrasser des Visigoths, qui avaient joué un rôle brillant dans la bataille, et, selon toute apparence, décidé la victoire. Leur jactance et leurs prétentions offusquaient sans doute l’armée romaine, et Aëtius craignit qu’après la destruction des Huns, ces défenseurs de la Gaule ne pesassent d’un poids insupportable sur elle. Telle est du moins la politique que lui prête Jornandès, toujours favorable à ses compatriotes les Goths. Cette version plut tellement aux Barbares, dont elle flattait l’importance, que les historiens des Franks prétendirent aussi (sans la moindre vraisemblance assurément) qu’un stratagème