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main en main et sans droits de transfert. Ce sont en effet des billets de banque qui portent intérêt. Chaque année, on a chance d’être remboursé au pair ; il serait même possible d’offrir dans les premiers temps l’appât d’une petite prime aux premiers numéros sortans. Beaucoup de capitaux placés sous la main de l’état ont un écoulement forcé vers cette valeur. On sait en outre que la caisse de crédit foncier, au moyen du crédit facultatif qui lui est ouvert par le trésor, a des moyens puissans pour prévenir le discrédit de son papier. N’est-il pas probable, nous le demandons, que des valeurs ainsi recommandées doivent se classer dans la circulation et s’y soutenir avec avantage ?

Il y a d’ailleurs, dans l’essence même des lettres de gage, une force qui tend à les maintenir en équilibre aux environs du pair. Il est difficile qu’elles s’en écartent, soit au-dessus, soit au-dessous, parce qu’on se décide difficilement à donner soit plus, soit moins de 100 francs d’un titre qui d’un jour à l’autre peut être désigné par le sort et remboursé à 100 francs. Quoi qu’il arrive d’ailleurs, les chances sont pour l’emprunteur. En cas de hausse, il en résulte pour la propriété une plus-value dont il profite, et, s’il reste détenteur de quelques lettres de gage, le bénéfice qu’il réalise vient en déduction de l’annuité dont il est redevable. En cas de baisse, il peut racheter au-dessous du cours des lettres que la société lui reprend au pair. Supposons qu’une panique précipite les cours à 80 francs ; mille débiteurs vont faire des efforts pour réaliser un bénéfice certain de 20 francs, et la concurrence des demandes rehausse bientôt les titres à leur niveau naturel. Ces ressorts combinés ont tant de puissance, qu’en Allemagne ils élèvent les cours à un niveau bien supérieur à celui de la rente française. Ainsi, en 1850, les lettres de gage du Mecklembourg et du duché de Posen en 4 pour 100 coté à 103, et celle de la Silésie en 3 et demi coté à 92, correspondaient aux cours de 129 et 131 en 5 pour 100.

Que les cours soient bien tenus dans les premiers temps, et le succès est assuré. On n’exercera qu’une imperceptible attraction, nous le savons bien, sur les capitaux voués à l’agiotage ; mais les capitaux prudens, ceux qui sont immobilisés depuis des siècles dans des placemens hypothécaires et qu’il s’agit de déloger, où se réfugieraient-ils, si ce n’est dans le nouveau domaine qu’on leur ouvre ? Par exemple, dix millions de placemens sur les immeubles viennent à échéance ; les débiteurs, au lieu de solliciter un renouvellement comme de coutume, s’entendent avec la banque foncière pour rembourser. Que vont faire les créanciers détenteurs de ces 10 millions ? Chercheront-ils de nouveaux emplois dans les études de notaires ? Mais l’argent offert sur première hypothèque y surabonde déjà. Iront-ils à la Bourse ? Mais les cours des effets publics, exhaussés subitement par des achats exceptionnels, ne tarderont pas à se niveler avec le prix des lettres de gage.