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d’ailleurs de toute espèce de charlatanisme, et demandant d’un seul coup plusieurs milliards à 4 et demi pour 100 d’intérêt. Y aura-t-il à la Bourse de l’argent pour lui ?

Utile et désirable, l’établissement du crédit foncier peut réussir en France, nous en sommes convaincu ; mais l’opération présente chez nous des difficultés bien plus grandes qu’en Allemagne. Limitée, dans l’origine, aux biens de la noblesse allemande, l’institution s’est trouvée appuyée sur une clientelle capable de comprendre une combinaison financière, intéressée à la soutenir, et résolue à vaincre les résistances. Il est probable aussi qu’au dernier siècle, le régime prussien offrait peu de garanties aux capitalistes, et que les personnes en possession de quelques économies devaient saisir avec empressement l’occasion d’un placement certain. Le crédit foncier s’introduisit ainsi peu à peu dans les mœurs économiques du pays. Aujourd’hui même, dans les états allemands dont les finances ne sont pas bouleversées, la concurrence que font les rentes de l’état aux rentes constituées par les propriétaires est beaucoup moins forte que chez nous. En France, la dette publique, dont le capital est de 6,573,000,000 fr., correspond à 182 fr. par tête. En Prusse, la dette publique (701 millions de fr. pour 16 millions d’ames) n’est que de 44 fr. par tête. En Saxe, elle est de 40 fr. Dans le Wurtemberg, elle s’élève à 64 fr., etc. Il y a d’autres pays, tels que l’Autriche, où un effet contraire a lieu ; c’est l’exagération des charges et des embarras de l’état qui fait refluer les capitaux timides vers les placemens sur immeubles. Il n’est donc pas étonnant qu’en Allemagne, le cours des lettres de gage ait en général tendance à dépasser celui des effets publics, et pourtant, si favorables qu’y soient les circonstances, nous avons vu qu’après quatre-vingts ans d’expérience, la circulation de ces lettres ne dépasse pas actuellement 540 millions pour un groupe de 27 millions d’individus. Si le placement des lettres françaises devait avoir lieu dans la même mesure, ce qui est encore douteux, leur circulation chez nous correspondrait seulement la quatorzième partie de la dette hypothécaire.

Ne nous faisons donc pas illusion. La faveur qu’obtiennent en France les fonds publics et les actions industrielles est telle qu’il n’y a pas à compter, pour le crédit foncier, sur les capitaux de spéculation. Le secret de la réussite, c’est de manœuvrer de manière à provoquer la conversion de la dette hypothécaire existante : opération difficile, nous le répétons, mais non impossible, pourvu que l’on opère avec dextérité et persévérance.

Si les bons esprits sont d’accord pour condamner l’intervention du gouvernement dans les entreprises particulières, c’est qu’il en résulte d’ordinaire un privilège au profit de ceux à qui les ressources de l’état sont attribuées : il n’en est pas ainsi dans le projet que nous discutons.