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vieille querelle de Pascal et de la société de Jésus ; mais on put conclure que, si Escobar avait eu le tort d’absoudre par des subtilités de conscience des fautes réelles, les ennemis des jésuites, suivant un procédé contraire, surent faire frapper ce jour-là par le bras séculier des crimes imaginaires.

Si la vie de Voltaire avait paru, elle eût été conçue dans le même esprit d’équité. Ce n’eût été ni un libelle ni un panégyrique ; c’eût été un portrait vivant. À peine peut-on trouver quelque ébauche informe de ce grand travail dans des notes rapidement écrites à la marge de la longue correspondance où Voltaire a mis lui-même toute son ame. M. de Saint-Priest interrompait chaque matin une lecture attentive pour jeter sur le papier les premières improvisations de sa pensée, ou même l’exubérance de ses propres sentimens. Il ne nous a été permis de jeter qu’un coup d’œil sur ses confidences tout-à-fait intimes ; mais il nous a suffi pour apercevoir quelques traits empreints de cette verve du premier jet qui manque souvent aux secondes touches. Jamais Voltaire sans doute ne s’était vu observé d’aussi près ni par des yeux aussi perçans. Le grand homme a été pénétré de part en part, nous dirions déjoué, si cette expression ne répondait mal au sentiment qui animait M. de Saint-Priest. Le biographe est sans illusion, mais il n’est pas sans sympathie pour son modèle. On n’approche pas de ces riches natures, dans lesquelles la main de Dieu a déposé le génie, sans se sentir pris pour elles d’une involontaire affection. M. de Saint-Priest est plein d’une pitié intelligente pour les misères enfantines de l’imagination et de l’amour-propre qui tiennent de si près à la sensibilité exquise du talent. Il pardonne en souriant à Voltaire ses vives et presque tragiques émotions sur le succès de ses drames, sa susceptibilité prompte à s’irriter à la moindre atteinte du sarcasme (dont lui-même il était si prodigue pour autrui), sa tendresse prolongée sans dignité auprès des nouveaux amours de sa maîtresse, puis la douleur de la mort d’Émilie si vivement ressentie et si promptement effacée, enfin le mélange d’une complaisance extrême et d’une familiarité de mauvais goût auprès des souverains. Ainsi sont faites, M. de Saint-Priest le comprend, ces choses légères qu’on appelle des aines de poète. Rien n’est délicat comme les remarques qui accompagnent la fin moitié pathétique et moitié ridicule de cette pédante et pourtant touchante Émilie. — Contraste fréquent de la plaisanterie et de la mort ! s’écrie-t-il ; tout ceci doit être raconté avec gravité et sans sarcasme.

Mais quand éclatent enfin ces longues haines qui firent oublier à Voltaire et le bon goût dont il avait donné tant de modèles, et l’humanité dont il se portait pour défenseur, quand on le voit invoquer la censure contre Palissot et déshonorer Fréron sur les planches, solliciter les rigueurs des pasteurs de Genève contre Rousseau sans asile, et disputer