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son propre compte une idée assez haute du rôle de l’autorité spirituelle dans l’ordre immuable des dogmes catholiques ; mais le rôle temporel de la papauté sur la scène mobile de l’histoire nous paraît sainement apprécié. Chrétien, il pouvait manquer quelque chose encore à ses convictions ; historien, son jugement avait su trouver le point exact entre le paradoxe et le préjugé. Le dirons-nous même ? admirateurs sincères comme nous le sommes de l’action de l’église catholique dans la civilisation moderne, nous aimons mieux cette appréciation, mesurée que certains enthousiasmes maladroits qui compromettent le Dieu qu’ils adorent. Nous aimons mieux faire deux parts dans le moyen-âge, dont l’une revienne au compte de la barbarie encore mal domptée, et l’autre de l’église encore mal obéie, que de confondre dans une admiration, et par conséquent dans une responsabilité pareille, le mal comme le bien, les crimes comme les vertus, les servitudes comme les libertés dont ces temps tour à tour sublimes et grossiers offrent à chaque pas le singulier mélange. Le moyen-âge est placé comme au confluent de deux fleuves. Dans le torrent de la barbarie germaine se sont confondus les flots abondans et purs de la religion chrétienne. De là cette saveur étrange, tantôt amère et tantôt douce, que présentent leurs ondes mêlées. Le moyen-âge a toujours gardé la trace de sa double origine. Dans chaque institution, dans chaque peuple, presque dans l’intérieur de chaque homme, le barbare et le chrétien étaient toujours en présence, le vieil et le nouvel homme étaient aux prises. Aucun temps n’a jamais reproduit au dehors d’une façon plus évidente le spectacle de cette lutte intime que décrivait et que prédisait l’Évangile. Que le nouvel homme ait enfin dominé, grace aux efforts infatigables de l’église catholique et de la papauté, Dieu garde de le contester, et le livre de M. de Saint-Priest le prouve à chaque pas ; mais son triomphe a précisément consisté dans l’anéantissement de la plupart des institutions violentes et serviles dont le moyen-âge donnait encore le spectacle. Nous voulons bien admirer le moyen-âge, mais à la condition que ce soit en le plaçant entre la barbarie en arrière et la civilisation moderne en avant, se dégageant de l’une et marchant vers l’autre. L’église catholique a guidé cette marche le flambeau de la vérité à la main, et le meilleur prix qu’elle ait obtenu de ses services, c’est le droit de se retirer de l’arène poudreuse des sociétés politiques, de ne plus se mêler activement des affaires humaines, où les mains les plus pures se souillent, de prier en paix au fond des sanctuaires pour les souverains détrônés et pour les peuples en révolution, au lieu de couronner un Charles d’Anjou tout couvert de sang ou de dévouer la tête charmante de Conradin par l’anathème à l’échafaud.

Nous croyons donc qu’en cette occasion M. de Saint-Priest fut bien