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et il arrivait du pays où Catherine avait correspondu plaisamment avec Voltaire. Il pensait peut-être que les plus grandes supériorités sociales cessent de dominer du jour où elles s’enferment. Sa conversation, comme son style, voulait avoir les coudées franches. Il se sentait écrivain lui-même et ne redoutait pas ses semblables, parmi lesquels un instinct secret lui disait qu’il ne trouverait que peu d’égaux. Ce fut là, sans doute, une des raisons qui distinguèrent d’assez bonne heure la manière de voir d’Alexis de Saint-Priest, de celle qui lui semblait tracée par sa situation sociale. Des succès de salon dans la sphère un peu étroite où ils étaient désormais restreints, de petits vers qu’il faisait avec grace, des comédies de société qu’il débitait avec art, ne lui suffirent pas long-temps. Il a livré lui-même au feu ces premières productions, jugeant sa petite gloire de coterie du haut de la réputation véritable où il était enfin parvenu. Il aspirait à un champ plus vaste, et voulait se retremper à des sources plus vives. C’était le temps où diverses écoles se disputaient le monde littéraire. Ici un groupe d’écrivains réfléchis portait dans l’histoire, dans la critique, dans la philosophie, une réforme qu’ils essayaient de rendre prudente ; là, un essaim impétueux de poètes tentait dans l’art une révolution qu’ils ne craignaient pas de pousser à l’extrême. Les uns et les autres préparaient à la France, dirons-nous, de nouveaux progrès ou de nouvelles illusions ? En tout cas, ils lui imprimaient un essor irrésistible. M. de Saint-Priest, sans s’asservir à aucune école, ne craignit pas de s’associer au mouvement général : il écrivit dans des recueils périodiques où l’esprit d’innovation littéraire côtoyait d’assez près l’esprit de libéralisme politique. On remarqua ses articles dans la Revue Française, avec satisfaction dans le public, avec quelque déplaisir peut-être dans les régions élevées du pouvoir. En les relisant aujourd’hui, comme tant d’autres dans ce recueil si riche d’idées, on n’a qu’un regret, c’est que le parti monarchique d’alors ait cru devoir témoigner tant de méfiance à toutes ces forces vives de l’intelligence, qu’il aurait pu tempérer en les absorbant, et qu’il ait plus d’une fois suscité lui-même l’hostilité en la supposant.

La révolution de 1830 surprit ainsi le jeune de Saint-Priest dans une disposition d’esprit un peu différente de celle du gouvernement et du parti qui s’écroulaient. Il était en relation d’amitié, en collaboration littéraire avec plusieurs des hommes que cette révolution amenait au pouvoir. La royauté nouvelle parlait de liberté et d’institutions qui assuraient à l’intelligence une part prépondérante dans les affaires. C’étaient autant de séductions pour M. de Saint-Priest, dont l’esprit avait la liberté de la force, et qui sentait que sa place était marquée partout où la pensée était en honneur. Une affection véritable le liait d’ailleurs au nouvel héritier du trône, à ce jeune prince que l’amitié seule a pu bien connaître, et qui semblait né pour rendre une sève plus