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peu agréable ; mais, dès les premiers mots, il prit soin d’éloigner cette hypothèse. Il allait, disait-il, à Naples porter à la duchesse douairière de Lanark quelques nouvelles relatives à « l’heureux événement » qui venait de s’accomplir, et qui devait assurer le bonheur de lady Margaret.

— Et qu’est-il donc survenu de si heureux à Margaret ? demanda Eleanor avec un doux sourire. Vient-elle d’acheter un autre Dunleath ?

— Je vois, madame, que vous n’avez pas fait réclamer vos lettres à la poste, repartit le placide messager avec un sourire non moins doux. L’heureux événement dont je parlais est le mariage de lady Margaret avec M. David Stuart.

À ces mots, Eleanor frissonna légèrement et devint fort pâle. Elle put cependant demander ses lettres, qui justement venaient d’arriver ; mais, quand elle eut reconnu sur l’adresse de l’une d’elles l’écriture de lady Margaret, elle voulut vainement l’ouvrir, et, après quelques efforts convulsifs, la laissa échapper de ses mains affaiblies.

Cette lettre, — vraie sentence de mort, — était la plus gaie du monde. Ignorant absolument le secret que lady Penrhyn avait soigneusement enfoui au plus profond de son ame, lady Margaret lui racontait comment une ancienne « amitié d’enfance » qui la liait jadis à David Stuart, — et qu’elle avait dû oublier en épousant M. Fordyce, — s’était naturellement réveillée lorsque de fréquens rapports de voisinage les avaient réunis, tantôt chez le duc de Lanark, tantôt à Dunleath ; si bien qu’un jour, parlant de ce dernier domaine et de l’établissement qu’on y pourrait former, une même idée, accueillie par tous avec bonheur, s’était présentée à leur esprit. Cette idée si simple, si facilement admise, c’était d’unir Ardlockie et Dunleath, — de rendre à ce dernier manoir la splendeur qu’il avait perdue, et, — ajoutait en propres termes lady Margaret, — « d’y préparer un nid de duvet pour notre colombe blessée. »

La colombe blessée tressaillit quand ses yeux s’arrêtèrent sur ces mots. La triste réalité cependant ne lui apparu bien distincte que lorsqu’elle vit au bas de la lettre la signature nouvelle de son amie MARGARET STUART. Ces deux mots résumaient pour elle trois pensées terribles : — Il ne m’aimait pas ! — Je l’aime et je meurs ! — Il a Dunleath, il a Marguerite, il est heureux, et je ne suis pour rien dans son bonheur !

Eleanor ne survécut que peu de jours. Tantôt un accès de fièvre, tantôt un redoublement de faiblesse ; la fièvre toujours plus forte, l’abattement toujours plus complet. Les médecins fronçaient le sourcil en se parlant d’elle, puis immédiatement après ils causaient politique, voyageurs anglais, clientelle, etc. — Godfrey était allé aux glaciers de Chamouni pour employer le temps qu’Eleanor mettrait à se rétablir.